Le front social se dresse, apprend-on. Les ports, la SNVI, Khanagaz, le SETE Tizi Ouzou, les adjoints d'éducation sont sur le pied de guerre. Les motifs de la grève renvoient le plus souvent à des revendications salariales, très probablement légitimes quand on connaît le pouvoir d'achat des travailleurs et employés du secteur public. Mais ils sont parfois spécifiques, comme avancés par les syndicalistes de la SNVI : la nomination d'un directeur retraité. Mais c'est quoi un front social quand c'est un front de collectifs dont les représentants sont affiliés à l'UGTA ? Le scénario est récurrent : préavis de grève, attente, visite du secrétaire général de l'UGTA et… “grève suspendue suite à l'intervention de Sidi-Saïd” ! Prenons l'exemple des dockers : ils ont déjà émis la menace de débrayer, puis le Red Ader du front social est passé, et tout est rentré dans l'ordre. Peut-être que les meneurs syndicaux des travailleurs des ports souhaitent que le chef de la Centrale repasse encore. D'ailleurs, on ignore invariablement ce que Sidi-Saïd dit aux syndicalistes en serment de grève pour qu'ils reprennent ainsi, immédiatement après son passage, le turbin. Il semble agir comme “l'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux” de Nicholas Evans. Deux ou trois grosses bagnoles noires se garent devant la direction de l'établissement qui menace grève et déchargent leurs passagers en costumes gris. Se tient ensuite une séance de chuchotements avec les représentants du personnel dans une salle de réunions apprêtée pour la circonstance. Au sortir du conclave, Sidi-Saïd s'offre un petit bain de foule prolétaire et fait une déclaration à la presse, du genre : “Je soumettrais le dossier aux autorités concernées.” Puis le responsable social local annonce la reprise du travail. Pas besoin d'expliquer au collectif mobilisé, ni à la presse longtemps sollicitée pour médiatiser la menace, la nature des promesses obtenues. Au demeurant, n'étant pas leur employeur, ce n'est pas le rôle du syndicaliste national en chef de répondre aux doléances des travailleurs. Mais tout se passe comme si l'entrevue avait réuni un syndicat et un patron. La Centrale, comme on l'appelle, prend des airs de partenaire social, mais de partenaire des travailleurs. Elle agit à partir de sa position de fait, du côté de l'autorité publique, et non de sa position théorique, du côté du monde du travail. Un peu instruits de cela, les syndicalistes sur site la considèrent comme interlocuteur plus que comme niveau central d'un dispositif revendicatif. Dans sa démarche comme dans la perception de ses adhérents, la direction de l'UGTA est plus représentative de l'Etat-employeur que de ses employés. Souvent, l'employeur direct, entreprise ou administration, préfère jouer la discrétion, en attendant que l'UGTA d'en bas s'entende avec l'UGTA d'en haut. C'est la manière la plus économique de résoudre un conflit social du secteur public. Il suffit de regarder le superbe dédain qui réplique aux immenses sacrifices des personnels organisés en syndicats autonomes pour réaliser la vanité de tout mouvement social. Et pour que l'UGTA comprenne qu'elle ferait mieux de se contenter des réponses de l'UGTA. M. H. [email protected]