Il a fallu aller presque à l'autre bout du monde pour assister à cette scène : des Algériens en train de travailler alors que les Chinois sont au repos. C'était dimanche dernier au niveau de la ville de Nanjing (à 1 200 kilomètres au sud de Pékin) où se trouvent une partie des 76 ingénieurs en formation en Chine jusqu'au 15 janvier (envoyés par le ministère des Travaux publics sous la responsabilité du groupe Citic). Alors que toute la ville, inclus les nombreux campus universitaires, était au repos (week-end oblige), nous avons “surpris” ces Algériens en train de suivre, visiblement avec assiduité, un cours d'un professeur chinois, Mme Pao, spécialisée dans le management de la qualité des travaux en génie civil, accompagnée d'un jeune traducteur, tous deux debout face aux étudiants, lequel répondait à leurs questions. À la fin du cours, nous avons eu une sympathique discussion entre “awlade lebled”. L'occasion d'assister à une surprenante scène juste à la fin du cours. Un ballet surréaliste, à des milliers de kilomètres d'Alger, quand des Chinois se mettent à danser sur la chanson Algérie mon amour, de Baâziz. “C'est comme ça depuis le début de notre séjour. Ils nous font écouter l'hymne des Jeux olympiques de Pékin depuis le premier jour, et on a décidé de leur répondre par cette chanson”, nous dit toute souriante Hamidouche Ghania, la représentante de la division programme neuf (DPN) de l'Agence nationale des autoroutes (ANA). En déjeunant avec le groupe dans le restaurant de l'hôtel 5 étoiles Zhuang Yuanlou (les lauréats, en français), où il est hébergé, nous avons à plusieurs reprises entendu une phrase récurrente des jeunes. “On ne fait qu'apprendre des choses depuis que nous sommes ici et pas seulement dans les cours”, nous confie l'un des jeunes ingénieurs, tout content de parler à un compatriote. Et d'ajouter, enthousiaste : “C'est vraiment quelque chose de rencontrer d'autres Algériens ici. Cela nous donne la chair de poule. Hier, on a fait connaissance avec des étudiantes algériennes ici et tout le groupe ne voulait plus les lâcher.” Un autre se montre plus zen : “La Chine est en train de dominer le monde, et on ne peut que sentir l'extraordinaire volonté de ses habitants à se développer. Ce qui est incroyable. Pour faire du bon travail, ils sont prêts à tout détruire et à tout recommencer sans aucune hésitation.” De son côté, Mohamed Chohra, chef du groupe d'ingénieurs à Nanjing, n'a pas tari d'éloges sur les conditions dans lesquelles la formation se déroule : “Rien ne nous manque et les Chinois ont tout mis à notre disposition. Ajoutez l'ambiance qui est excellente entre nous Algériens ici et aussi avec tous les Chinois qu'on rencontre chaque jour.” Concernant la formation, il dit que tous les cours sont de grande qualité : “Ce sont des professeurs d'un excellent niveau qui donnent ces cours à nos ingénieurs. C'est concentré essentiellement sur les autoroutes. Ce pays va devenir le premier pays au monde en nombre de kilomètres d'autoroutes. Les Etats-Unis sont premiers avec 80 000 km, mais ils vont les dépasser bientôt. Le plus incroyable, c'est que ça a été fait en très peu de temps.” Même son de cloche du côté de Boussoufa Yacine, chef de département à l'ANA, qui est le troisième responsable des 37 ingénieurs du groupe : “L'une des choses qu'on a pu surtout confirmer ici, c'est qu'il y a un grand espoir pour que l'Algérie puisse aller de l'avant et qu'on puisse se développer. Ce ne sont pas nous qui le disons mais les Chinois eux-mêmes. Ils nous rappellent à chaque fois que s'ils ont commencé leur bout de chemin vers le développement avec des autoroutes à deux fois deux voies, nous c'est trois fois trois voies. C'est donc pour eux une évidence que nous allons avancer encore plus rapidement qu'eux. En tout cas, ils ont remarqué que nous avons aussi des gens compétents. Je crois que la différence est juste une question de culture, et ce sont les raisons pour lesquelles cette coopération avec les Chinois est très importante. Ils font tout pour leur pays avec à la clé des résultats plus que palpables, à nos ingénieurs de revenir au pays avec cela dans leurs bagages.” Mohamed Chohra n'omet pas de nous préciser que “l'Algérie a plusieurs projets, en plus de l'autoroute est-ouest, il y a aussi celle des Haut-Plateaux, en plus, bien sûr, des rocades, des pénétrantes et bien d'autres. Avec l'expérience qu'on accumule avec les Chinois, ça ne peut être que profitable pour le pays”. Aussi, dans le restaurant, nous avons rencontré Mounia, la Constantinoise, et Aïda, l'Oranaise, deux étudiantes en postgraduation, spécialité pharmacie. Le groupe les avait découvertes par hasard la veille. “On était en train de marcher dans le campus quand, soudain, on entend des filles parler en arabe. On a presque sauté sur elles. On a insisté pour qu'elles viennent déjeuner avec nous”, raconte l'un des ingénieurs. De leur côté, les deux pharmaciennes, malgré leur grande timidité, ont pu tout de même lâcher quelques mots. “Nous sommes ici depuis trois mois. En pharmacie, nous sommes 15 boursiers à l'université de Nanjing. Dix sont venus l'année dernière. L'été dernier, il y a eu cinq nouveaux, plutôt nouvelles, puisque toutes sont des filles”, nous dit Aïda. Elle nous indique que sur les quinze, il y a seulement trois garçons. De son côté, Mounia nous précise que pour elle, c'était très difficile au début, “surtout qu'on est venu juste avant le Ramadhan. Mais on est en train de s'adapter. On relativise à chaque fois. Il y a des étudiants algériens aux frontières entre la Chine et la Russie, et là-bas, on ne sait pas ce que veut dire la chaleur. Ici, à Nanjing, ça nous arrange”. Et d'ajouter : “Nous faisons nous-mêmes la cuisine parce que nous n'arrivons pas encore à nous habituer à la cuisine chinoise.” Concernant le nombre d'étudiants inscrits dans les universités chinoises, un fonctionnaire de l'ambassade d'Algérie à Pékin indique qu'il ne dépasse pas 80, “éparpillés à travers plusieurs cantons du pays (…) Evidemment, c'est le nombre des boursiers. On n'a pas pu compter les free-lance, ceux qui viennent ici avec leurs propres moyens. Même s'ils existent, en tout cas, ils n'ont pas pris attache avec l'ambassade”. Si ce groupe est en Chine pour une quarantaine de jours, il y en a d'autres qui y sont pour d'autres raisons. Nous en avons rencontré un avant notre arrivée à Nanjing, à Pékin. Un certain Hachemi, originaire de Sétif. Exerçant en tant que transitaire, il vit dans la province de Guangdong (au sud du pays, pas loin de Hong Kong) depuis plusieurs années. “C'est pour des raisons commerciales que je suis là. Pékin est la capitale politique et, pour le business, c'est essentiellement trois villes : Guangzhou, Shenzhen et Shanghai. Je suis donc à Guangzhou pour faire des affaires et je rentre chez moi une fois par an.” Concernant sa situation, il a tenu à nous préciser qu'il est “évidemment en situation régulière. On ne peut pas entrer en Chine sans visa. Vous pouvez faire un visa multiple d'une année, mais y entrer clandestinement, ce n'est pas possible”. Parmi ce contingent d'expatriés temporaires, l'histoire incroyable de cette étudiante qui suscite parmi nos compatriotes sur place beaucoup d'admiration. Elle serait Oranaise et, tout en préparant une thèse sur les commandes robotiques, travaillerait au… programme spatial chinois. Encore un “cerveau” absent du pays mais qui a appris, comme toute la délégation des ingénieurs, que le “travail à la chinoise” est loin d'être un mythe. S. K.