La neige commençait à fondre en ce début du mois de mars et le paysage était des plus fabuleux. L'air aussi était très pur et Lounis se faisait un grand plaisir de respirer à pleins poumons. Fatigué d'avoir roulé une bonne partie de la nuit, il décida de s'arrêter quelques instants au bord de la route et descendit de son camion pour se dégourdir les jambes. La rosée du matin sur les fleurs luisait sous les premiers reflets du soleil, et là-bas, au premier virage, un berger emmitouflé dans son burnous traversait la route en compagnie de son troupeau qui, une fois de l'autre côté de la chaussée, s'éparpilla dans l'immensité des pâturages verdoyants. Emerveillé devant tant de beauté naïve, Lounis, s'accordant quelques moments de répit, s'assoit sous un olivier et alluma un petit feu pour réchauffer ses doigts engourdis par le froid. Traînant son bâton, le berger vint s'installer tout près de lui et le salua poliment avant de proposer une tasse de café, que Lounis accepta avec joie. Sortant une bouteille thermos d'un vieux sac en jute, le berger versa un café brûlant dans deux gobelets en fer. - Bois, dit-il en tendant une tasse à Lounis, c'est ma femme qui le prépare, et je n'en ai pas encore goûté de meilleur. Connaissant la générosité légendaire des Kabyles, Lounis ne fut point étonné de l'accueil aimable du berger dont il ne connaît même pas le nom. Ce dernier sirotait son café en le regardant attentivement. À son air exténué, il avait compris que Lounis était de ces commerçants qui sillonnent le pays de long en large, achètent et vendent toutes sortes de marchandises. Alors, il n'hésita pas à lui proposer un marché. - Tu es commerçant à ce que je vois. - Oui, dit Lounis, c'est aussi vrai que toi tu es berger. - Je suis tenté moi aussi par la vente de quelques sacs de laine. Je viens de tondre mes moutons et je n'ai pas le temps de marchander ma récolte de laine dans les souks. - Propose toujours, dit Lounis, on pourrait s'arranger. Le berger réfléchit un moment puis se décide. - Je te propose deux tonnes de laine pure à 50 DA le kilogramme, cela fera combien ? Lounis se met à calculer mentalement avant de conclure : - Cela fera 100 000 DA pour les deux tonnes, c'est un peu cher non ? - Pas du tout, dit le berger. Je sais qu'en ville, le kilogramme de laine est cédé à 75 DA au prix de gros. À ce prix-là, tu pourras en tirer un grand bénéfice. Lounis hésite un instant, puis se dit que l'occasion était bonne. Il achètera et gardera la laine chez lui jusqu'à l'hiver prochain ! - C'est bon, dit-il au berger, je te donne 100 000 DA cash. Le berger se leva et rassembla ses moutons. - Attends-moi ici, dit-il, je serai de retour dans une heure. Une heure et demie plus tard, Lounis quitte la Kabylie avec deux tonnes de laine dans son camion. Deux tonnes de laine ! Gagné par la confiance, Lounis n'avait pas jugé nécessaire de vérifier le contenu des sacs et s'était contenté d'ausculter la petite touffe de laine que le berger avait ramenée dans la capuche de son burnous afin d'éviter, avait-il précisé, une perte de temps, et la laine blanche comme neige était de la meilleure qualité qui soit. Ce n'est qu'en arrivant chez lui que Lounis se rendit compte que dans les sacs, il y avait deux tonnes de paille ! Y. H.