Avec “zéro champ” pour les téléphones mobiles et “moins de zéro” pour la connexion à Internet — car seuls les téléphones Thuraya et le GPS fonctionnent —, nous pénétrons dans une zone où seuls les gardes frontières définissent le temps et l'espace pour sécuriser 600 km de frontières du Sud-Ouest. Béchar. À mille lieues d'Alger, le climat glacial ne prête guère à une virée dans les contrées éloignées de l'éternelle carte postale qui a toujours constitué la fierté de l'Algérie avec ses enchanteresses oasis, ses gisements culturels et historiques. De 3 à 5 °C, ses températures tant nocturnes que matinales arborent un défi à celui qui ne sait s'en prendre à ses mystères naturels. Pourtant, avecmoins que ça en cette période hivernale, où les températures affichent moins de zéro degré, des hommes, par fidélité et devoir, veillent à la belle étoile, sur des ergs infiniment rigoureux, pour stopper les faiseurs de mal, ceux qui, par le passé, profitant de la décennie rouge, ont réussi à développer de faux clichés pour que l'Algérie devienne un pays de transit, voire un pays consommateur et, enfin, une terre fertile pour semer la graine et le pavot : les cartels internationaux de trafic de drogue. Ces hommes, en l'occurrence les gardes frontières, ont renversé la vapeur et réussi à mettre à genoux des réseaux importants de blanchiment d'argent, de financement du terrorisme et de commercialisation de stupéfiants en Algérie. C'est parce que Béchar refuse de traîner ces étiquettes, comme plaque tournante, frontière passoire ou encore capitale de la drogue. C'est parce que la capitale de la Saoura brave courageusement les narcotrafiquants et refuse jalousement de devenir le relais de ceux qui ont profité des malheurs de l'Algérie durant les années de plomb pour s'enrichir, créer des paradis fiscaux et détruire une société en pleine mutation. En cette matinée de lundi 5 janvier, sur la RN6 reliant Béchar à Tindouf, seul le relais routier d'Al-Agla est ouvert pour assurer un service minimum. Il est 6h45, il fait encore nuit et le chemin qui mène vers notre destination est encore loin. Il nous reste encore à parcourir quelque 300 km pour atteindre Zeghdou. C'est ici, que les éléments de la compagnie des GGF, que commande le capitaine Houar Abdeli, ont récupéré, le 9 décembre 2008, la dernière prise de l'année, près de 9 tonnes de drogue et un arsenal de guerre. La route qui serpente les ergs à perte de vue est fortement sécurisée. Nous traverserons plusieurs points de contrôle de la Gendarmerie nationale, à l'image des postes Taous, Boulaâdham où se trouve l'unité héliportée pour intervenir en temps réel, et El-Kharet, avant de découvrir les péripéties quotidiennes des gardes frontières, notamment sur les déviations d'Abadla, de Tabelbela et enfin… Hassi Khebi. Autrefois lieu-dit, puis village peuplé par quelques âmes, et enfin petite commune où les populations autochtones prospèrent au gré du temps, Hassi Khebi est devenue, reliefs accidentés obligent, le point de chute des Toyota Station bourrées de kif provenant du Maroc à destination de l'Egypte. C'est que Hassi Khebi a fini par révéler au grand jour ses secrets à des GGF décidés de transformer cette région en tombeau des cartels internationaux de drogue. Aux premiers rayons du soleil, alors qu'il est 8h13, nous ne pouvons que deviner la difficulté de la mission qu'accomplissent les GGF dans la capitale de la Saoura, infernale en été et glaciale en hiver. Avec zéro champ pour les téléphones mobiles et moins de zéro pour la connexion à Internet — car seuls les téléphones Thuraya et le GPS fonctionnent — nous pénétrons, enfin, une zone où seuls les GGF définissent le temps et l'espace pour sécuriser 600 km de frontières du Sud-Ouest. Ce que “cache” Hassi Khebi sur les lieux de l'accrochage Accompagnés par le colonel Abderrahmane Ayoub, responsable de la communication au CGN (commandement de la Gendarmerie nationale) et du colonel Mimoun, chef d'état-major de la Gendarmerie nationale à Béchar, nous arrivons, enfin, à Zeghdou. À un jet de pierre de la RN6, les traces de pneus des Toyota Station, ces diables du désert que conduisaient les narcotrafiquants, sont encore visibles. Vives. Le premier responsable du GGF de Hassi Khebi, le commandant Lehbib Bahri, revient sur cette importante saisie de drogue, explique dans le moindre détail ce qui s'est exactement passé dans la matinée du 9 décembre 2008. “C'était la fête de l'Aïd. Les narcotrafiquants voulaient tromper notre vigilance. Nous avons alors mis un dispositif de surveillance. Suite à quoi, nous avons eu un signalement du passage d'un convoi d'acheminement de drogue. En embuscade dans la matinée du 9 décembre, aux environs de 8h, nous avons alors accroché les narcotrafiquants à bord de 4 Toyota Station”, raconte-t-il. Expliquant la trajectoire routière, le commandant Lehbib Bahri nous révélera que Zeghdou, située à 65 km de Hassi Khebi, et à quelque 35 km à l'est du Maroc, est le seul passage préconisé ce jour-là par les éclaireurs pour introduire la marchandise. Mais c'était compter sans la prouesse des éléments de la compagnie des GGF de Zeghdou, qui ont constitué un véritable comité d'accueil surprise à ces forces du mal. L'accrochage durera 15 minutes sans causer de pertes humaines. Trois véhicules seront immédiatement immobilisés par les coups de feu nourri. Le bilan parle de lui-même : saisie de près de 9 tonnes de kif traité. Mais ce n'est pas fini ! Les forces de l'ordre déclenchent une vaste opération de recherche et réussissent à récupérer, tenez-vous bien, 1 fusil mitrailleur de type FM/PK avec 1 470 cartouches, 4 PM/AK avec 16 chargeurs et 1 téléphone satellitaire de marque Thuraya ainsi qu'un appareil GPS qui leur permet de localiser la marchandise. En somme, un arsenal de guerre. Un Algérien et un Malien seront arrêtés au cours d'une opération qui aura permis de mettre hors d'état de nuire une aile importante, et pas des moindres, des cartels de la drogue qui empoisonnent l'Algérie. Cette opération qui s'ajoute à celles opérées le 20 novembre 2008 à Djebel Ben Tadjine, à 70 km de Tabelbela, et qui ont permis la saisie de près de 6 tonnes de kif traité, de 181 cartouches, de 1 chargeur PM/PK, de 9 fûts de carburant et une autorisation de circulation en Mauritanie. Dans la même zone, et traqués par les GGF, les narcotrafiquants abandonneront ce qui reste de la marchandise, à savoir 52 kg de kif traité, 1 autre fusil mitrailleur et 269 cartouches. Un coup dur pour un cartel qui perd ses relais, mais surtout qui fait face aux GGF tenaces à livrer une guerre sans merci contre la drogue. Suivre les GGF, voir et comprendre Il est 11h. Nous quittons, avec mes confrères d'Echourouq (Naïla B.) et d'El Watan (Rabah B.), la RN6 pour prendre une piste accidentée. Une piste semblable au Namib, ce désert mille fois millénaire de l'Afrique, tantôt rocheux, tantôt poussiéreux. Direction la frontière du Maroc où sont postés les glorieux soldats des GGF qui capitalisent un peu plus chaque jour l'expérience, en sus de leur courage et de leur patience, et ce à la lumière de la stratégie arrêtée par le patron de la Gendarmerie nationale, le général-major Ahmed Bousteïla, pour sécuriser totalement la frontière ouest et sud-ouest avec le déploiement de plus de moyens, la formation des ressources humaines et l'installation de 150 nouveaux postes frontaliers sur cette bande, autrefois axe du mal où sévissaient les narcotrafiquants et autres barons du crime transfrontalier. À 40 km du lieu de l'accrochage, nous atterrissons chez les GGF de la compagnie de Zeghdou. Nous enclenchons la discussion à bâtons rompus avec les soldats sur les dernières prises de kif traité. Modestes, ils avouent que ces opérations se sont déroulées avec succès. “Il ne leur reste que la drogue pour fructifier leurs activités. Le trafic de cigarette a diminué et tend de plus de plus à disparaître par rapport aux années précédentes. Pour eux, l'argent est donc dans la drogue. Un chauffeur qui fait le trajet entre l'Algérie et l'Egypte est payé à raison de 120 millions de centimes alors que celui qui effectue les petites distances touche environ 30 millions de centimes. Que dire alors des barons de la drogue et des cartels qu'ils servent !”, nous explique-t-on. Cette compagnie qui bénéficiera bientôt de 2 nouveaux postes frontaliers assure actuellement la couverture de 60 km à travers 4 postes avancés, tous situés sur des crêtes d'affluents qui déversent sur Oued Béchar. Oued Bourtil, Oued El-Djer, Oued Ouintouna et Oued Anebdour, sont les 4 postes avancés où des embuscades sont tendues de jour comme de nuit et qui durent parfois plus d'une semaine. En face de cette base-vie, où règnent la discipline et une ambiance très particulière, se trouve Djebel Zeghdou qui surplombe le Maroc. Un groupe de GGF arrive, avec armes et bagages, et nous accoste souriants. Il venait de passer trois jours à la belle étoile, sous un froid glacial, et revenait d'une embuscade de routine. C'est que Zeghdou est le point nodal de tous les échanges des narcotrafiquants qui empruntent le chemin de Tindouf via Hassi Khebi, pour transiter par Béchar en recourant à des cyclomoteurs puissants pour ouvrir la voie aux convois de narcotrafiquants. Et c'est là que les GGF frappent fort pour faire face aux intentions criminelles des contrebandiers. Et c'est là aussi que les GGF dévoilent les secrets de Hassi Khebi et déstabilisent les trafiquants de stupéfiants qui ont, autrefois, souillé l'image de la Saoura. Une Saoura qui tourne le dos à ce fléau pour garder intacte sa carte postale. 90% de la marchandise introduite via le Maroc est destinée à être écoulée sur le marché égyptien Jamais les narcotrafiquants n'ont laissé autant de plumes dans le sud-ouest de l'Algérie comme en cette année 2008. Et même si plus de 90% de la marchandise introduite via le Maroc sont destinés à être écoulés sur le marché égyptien ou autres, il n'en demeure pas moins que les saisies opérées par les GGF ont porté un sérieux coup aux barons de la drogue et aux cartels organisés. Avec près de 26 tonnes de kif traité, récupérées aux cours de différentes opérations menées à Hassi Khebi, Tabelbela, Erg Feradj, Beni-Ounif et bien d'autres localités de Béchar, l'année 2008 marque un tournant important dans la lutte contre les stupéfiants en Algérie, d'une part, et renseigne, on ne peut mieux, sur les offensives fructueuses que mène la Gendarmerie nationale de Béchar que commande le colonel Blidi, d'autre part. 26 tonnes de drogue représentent une valeur de près de 260 milliards de centimes. “Nous devons désormais penser au jour le jour à des stratégies pour barrer la route à ces cartels. Nous optimisons actuellement nos moyens humains et matériels pour réduire l'introduction de drogues. Le danger réside dans les drogues dures, comme l'opium, qui, heureusement, ne sont pas commercialisées en Algérie. Car l'intention criminelle des narcotrafiquants est établie”, nous explique-t-on encore. En plus de cette saisie spectaculaire, ce sont 31 trafiquants qui ont été arrêtés, dont 29 sont actuellement écroués. Parmi eux figurent 3 étrangers. Aussi, les GGF ont récupéré 16 Toyota Station, 2 FM, 4 PM//PK, 2 821 cartouches, 2 chargeurs, 1 000 litres d'essence, des téléphones portables, dont un téléphone de marque Thuraya et 2 motos. Un bilan qui honore ces GGF dans un désert aussi vaste qu'un océan : Béchar. F. B.