La marche du vendredi nous montre que la réconciliation nationale a échoué dans son objectif d'enterrer l'islamisme qui reste, faute d'alternative au statut quo, le recours par défaut. Alger a renoué vendredi avec les marches, quinze ans après que l'état d'urgence eut été décrété et presque sept ans après l'épique marche des aârchs, le 14 juin 2001. Des milliers d'Algérois, venus de tous les quartiers, offusqués au plus profond d'eux-mêmes d'être les cancres du monde arabo-musulman, en étant frustrés jusque-là de ne pouvoir témoigner leur solidarité avec les martyrs de Gaza, sont sortis dans la rue, après la prière du vendredi. Marche par effraction, parce qu'elle n'avait pas l'aval des autorités, mais marche légitime, saine. Surtout marche politiquement neutre, car la quasi-totalité de ceux qui sont venus battre le pavé étaient seulement portés par leur émotion et leur indignation face aux images des “war games” de l'armée israélienne, diffusées en boucle. Mais c'est compter sans l'opportunisme politique (au sens indécent) des islamistes qui n'ont pas loupé l'occasion de se rappeler au bon (plutôt mauvais) souvenir de la société algérienne. Ils ont donc tenté de surfer sur la vague de colère pour récupérer à leur compte la manifestation. À Belcourt, des citoyens qui n'ont visiblement rien à voir avec la chose politique, mais juste mus par le devoir de solidarité, ont été expliqués courtoisement à Kamal Guemazi et Boukhamkham, deux membres de la direction de l'ex-FIS, de rester à l'écart. Sans résultat. Entre-temps, leurs éléments, rompus aux techniques de la manipulation des foules, et à l'“agit-prop” ont noyauté les marcheurs, scandant des slogans qui nous replongent sans filets dans les dantesques années quatre-vingt-dix. “Allayha nahaya, allayha namout” a encore retenti. C'est que cette marche et la tentative de récupération qui s'en est suivie sonnent, en définitive, comme un échec patent de la réconciliation nationale. Voilà une démarche politique qui est censée nous placer dans l'ère postterroriste avec comme finalité la mise à mort de l'islamisme armé et idéologique et l'émergence d'une nouvelle alternative politique pour une Algérie postterrorisme. À l'évidence, ses promoteurs, au regard de ce qu'on a vu vendredi en tout cas, ont tout faux. L'islamisme est là en embuscade et il reste la seule force politique structurée, en dépit des coups de boutoir qu'elle a subis de la part des forces de sécurité, capable de mettre le grappin et de donner une perspective à une colère de masse, originellement sans connotation politique. Et si les islamistes se présentent encore comme alternative aujourd'hui, c'est d'abord grâce à leur capacité à rebondir. Mais, la faute incombe en premier lieu au pouvoir qui n'a pas été en mesure d'inventer, pour la jeunesse en particulier, d'autres repères politiques identificatoires en prolongement de sa politique de réconciliation nationale, qui reste, en définitive, un objet politique non achevé. Des repères qui éloigneraient ces jeunes en panne de modèle, des sirènes islamistes. Le discours, les méthodes, les hommes du système, fussent-ils jeunes, n'attirent plus. En témoigne le bide monumental qu'était le regroupement de solidarité pour la Palestine, organisé la semaine dernière à la Maison du peuple. Et tout en étant englué dans son anachronisme qui le disqualifie à jouer un rôle politiquement majeur, ce pouvoir n'a rien fait aussi pour permettre l'émergence d'autres forces politiques pouvant donner une déclinaison politique à la masse qu'on vit marcher vendredi. Les partis de l'opposition sont réduits au rôle d'intermittents du spectacle qui ne se réveillent qu'à l'approche des échéances électorales. Ils ont leur part de responsabilité dans cette faillite. Les organisations des sociétés civiles qui ont aussi vocation à canaliser les foules sont évacuées de l'échiquier, laissant la place à des entités satellites invertébrées et budgétivores, tout aussi discréditées que le système dont elles sont des appendices. Face à un système qui ne sait plus parler aux Algériens et une opposition démocratique, encore au stade infantile de l'ego, l'islamisme algérien n'a pas de souci à se faire. L'avenir lui appartient. D'autant plus que des institutions, comme l'école, n'en déplaise à Benbouzid, comme la télévision, qui sont les antichambres de la société de demain, sont en train de faire de la sous-traitance bénévole au projet islamiste. Est-ce le retour à la case départ ? Omar Ouali