Jour après jour, la citadelle s'effrite. Les Algériens n'en finissent pas d'enterrer leurs morts. Quinze citoyens ont été massacrés vendredi à moins de 20 kilomètres de la capitale politique, administrative et économique du pays. Armé de kalachnikovs, des pistolets-mitrailleurs AK-47 de fabrication russe et de pistolets automatiques calibre 9 millimètres, un groupe de jeunes tueurs sillonne en toute tranquillité Alger - en plein état d'urgence, faut-il le rappeler - de sa périphérie ouest et sud jusqu'à la banlieue est. Le général-major Fodil Cherif, commandant de la 1re Région militaire n'arrêtait pas de faire les cent pas lors de son déplacement, la nuit de vendredi, sur le lieu de l'attentat aux Eucalyptus. Il s'est déplacé seul de Blida dans sa voiture, en tenue civile, et montrait des signes de préoccupation intense. Chargé de l'opérationnel à l'état-major de l'ANP, c'est lui qui avait «nettoyé» conséquemment la banlieue est d'Alger à l'issue de l'opération de Ouled Allel en 1997 menée par les forces spéciales de l'armée. Les attentats se suivent. Alger est encerclée par les impacts de ces frappes. Jour après jour, la citadelle s'effrite. Le ratissage déclenché la nuit même et qui se poursuit dans la région des Eucalyptus et des issues vers Baraki et Chrarba n'a abouti à rien. La réunion annoncée par des correspondants sécuritaires de la presse d'une certaine commission de la sécurité à Alger n'apportera rien. Pourquoi? Parce que après la thèse du commando itinérant, voilà venu le temps du «commando volant». Les terroristes, que ce soit à Médéa, à Khraïcia, à Zeralda, à la rue Didouche-Mourad, aux Eucalyptus ou à Dely Ibrahim réussissent toujours «à prendre la fuite», selon la formule journalistique consacrée. Au lieu de maintenir un étau sécuritaire et de réactiver les réseaux d'indicateurs, les services de sécurité, tous corps confondus, sont acculés à «attendre» le prochain attentat pour réagir et réunir une commission. Vendredi, une partie des auteurs de l'attentat contre les passagers du minibus des Eucalyptus se sont évaporés sur la route de Baraki. Ils n'ont rencontré aucun barrage ou autre dispositif de sécurité. La lourdeur de mouvement de nos forces de sécurité est encore de mise. Dix ans de lutte antiterroriste pour constater les mêmes dysfonctionnements. Un analyste des questions sécuritaires avait fait remarquer l'absence même, et alors que le terrorisme frappe depuis près de dix ans en Algérie, «de cadre collectif de réflexion englobant la société civile, les institutions de la République et les cadres opérationnels sur les questions relevant de la sécurité intérieure». A Zéralda, après l'assassinat de sept adolescents aux environs de la gare routière la semaine dernière, les riverains ont bloqué la route pour réclamer plus de sécurité. A Aïn Defla, le mois dernier, les citoyens s'en sont pris à Zerhouni, ministre de l'Intérieur, pour dénoncer le retard de l'intervention des forces de sécurité après le massacre d'une famille. L'Algérie est-elle ainsi ballottée entre une sursécurisation pour laquelle les décideurs hésitent à opter ou va-t-elle être obligée de «gérer» au jour le jour le terrorisme? Un document, intitulé Analyse de conjonctures des origines récentes de la crise aux perspectives et attribué par le quotidien français Libération au général-major Mohamed Touati, conseiller militaire de Bouteflika, mentionnait ceci: «Le pire moment n'est pas ‘‘encore'' arrivé, car les populations et les forces armées ont su conserver leur cohésion bien que la rupture de celle-ci soit l'un des objectifs fondamentaux poursuivis par les terroristes qui n'ont pas ‘‘encore'' réussi à capitaliser le ‘‘qui tue qui?''». Après les événements de Kabylie et les derniers développements de la scène sécuritaire, un seul constat s'impose: le pire moment est déjà arrivé. Le document ajoute: «Pour quelles options et à quel moment changer radicalement de stratégie sans que cela soit perçu comme une catastrophe dans le domaine de la stratégie et dont l'implication serait la perte de maîtrise et de contrôle par l'Etat du processus d'évolution de la situation politico-sécuritaire?». Cette interrogation semble trouver réponse dans la folle course des commandos volants. En attendant, les cimetières continuent de se remplir.