Photo : Riad Par Hasna Yacoub Pour ou contre la peine de mort ? Chacun a donné, hier, son avis sur cette question qui sera au cœur des débats, les mois à venir, puisque des défenseurs des droits de l'Homme, avocats et autres représentants de la société civile appellent le législateur algérien à réviser la loi dans le sens de la décision de l'Etat prise en 1993 de suspendre l'exécution de la peine capitale. Dans une conférence régionale sur la réforme de la sanction pénale en Algérie et la mise en œuvre de la résolution des Nations unies portant moratoire sur la peine de mort, ouverte hier et pour deux jours à Alger, le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme (CNCPPDH), M. Farouk Ksentini, a indiqué que cette rencontre allait permettre de lancer le débat sur la peine de mort avec différentes parties qui sont pour ou contre cette question, soulignant que l'essentiel «est l'ouverture d'un débat autour de cette question surtout qu'actuellement le contexte est propice pour en débattre, à partir du moment où cette peine n'est plus appliquée depuis 1993». Me Ksentini a estimé par ailleurs que l'appartenance de l'Algérie à la sphère de la religion musulmane, qui «est une civilisation et une culture», doit «nous exhorter à moderniser notre législation et à la mettre au diapason des normes internationales». De son côté, le président de l'Organisation internationale de la réforme pénale, M. Boumedra Tahar, a expliqué que cette conférence vise à créer un «lobby pour l'abolition de la peine de mort». Il a rappelé que «l'Algérie est le seul pays arabe à avoir voté les deux résolutions des Nations unies demandant à la communauté internationale d'imposer un moratoire sur la peine de mort. Il s'agit des résolutions 62-149 de 2007 et 63-430 de décembre 2008. Sept pays arabes se sont abstenus et tous les autres ont voté contre». M. Boumedra a émis le souhait que les pays arabes ne se prononcent pas négativement sur le moratoire et qu'ils œuvrent pour l'abolition pure et simple de la peine de mort et sa substitution par d'autres peines. Questionné sur le refus par certaines parties de l'abolition de la peine de mort, celle-ci étant contraire à la charia islamique, M. Boumedra considère qu'«actuellement les pays arabes n'appliquent la charia islamique que dans des cas exceptionnels et leurs législations sont basées sur des lois positives. Dans la charia, il n'y a au maximum que 4 ou 5 cas pour lesquels la peine de mort est requise. Dans les lois positives, nous avons trouvé que, dans certaines législations arabes, il y a plus de 350 cas où la peine de mort est requise. Si nous arrivons à ne garder que les 4 à 5 cas existants dans la charia ce sera pour nous une énorme victoire». M. Boumedra réfute l'idée d'une augmentation de la criminalité comme conséquence directe de l'abolition de la peine de mort : «Ce qui compte, c'est un système judiciaire juste qui ne condamne pas à mort de manière systématique. Tout système juridique peut commettre des erreurs, et en commettre en condamnant à mort est une chose que ni la religion ni l'Homme ne peuvent accepter». Invité à ce débat, M. Youcef Belmahdi, cadre au ministère des Affaires religieuses, a un avis différent. «Nous devons, tout d'abord, ne pas lier une question légale avec la charia. Parce que la charia ne peut être abordée sur un seul point mais d'une manière globale. Dans la charia, il ne s'agit pas de peine de mort mais de la loi du talion [œil pour œil et dent pour dent] qui existe dans les religions monothéistes. En droit, nous savons que les lois sont élaborées pour le bien de la société. Dans un crime, il y a la victime et le criminel et si la législation est faite en faveur du coupable qu'en sera-t-il pour la victime, ses droits et ceux des siens ? Il faut un équilibre», a expliqué M. Belmahdi qui s'est étonné que, dans cet appel à l'abolition de la peine de mort, le droit des parents d'une victime n'est pas pris en considération. Quel sort devra réserver la société à un pédophile ou encore à un traître de la nation ? «Un pédophile qui abuse d'un enfant et le découpe en morceaux, ai-je le droit de lui pardonner sans même demander l'avis des parents ? Il faut donc préserver les intérêts de la victime ou de ses parents et celle du criminel. Dans le cas contraire, les victimes peuvent chercher justice eux-mêmes et les choses vont dégénérer. Nous disons aux défenseurs des droits de l'Homme et aux législateurs qu'il faut bien penser la question avant de s'avancer. Parce que, même dans les pays européens, la peine de mort n'a pas été abolie. Cette peine est une peine coercitive qui endigue la criminalité.» Enfin, M. Rezzag Bara, conseiller du président de la République et ex-président de l'Office national des droits de l'Homme (ONDH), estime que «l'Algérie, depuis une vingtaine d'années, va dans le bon sens. Le pays a diminué et de manière importante le nombre des infractions passibles de la peine de mort. Elles étaient plus de 30, il y en a maintenant moins de 10. De plus, l'Algérie n'exécute pas les peines de mort prononcées depuis 1993. Si nous fondons notre politique pénale et pénitentiaire sur une problématique de défense sociale, nous devons nous organiser de manière à ce que la peine de mort devienne inutile. Je crois qu'il y a dans le droit pénal énormément de possibilités pour rendre la peine de mort inutile sans avoir à poser la problématique de l'abolition».