C'est d'une toute petite salle de théâtre, intime et chaleureuse, que nous avons décollé pour une Algérie contemporaine et de passé proche. Les pilotes s'appellent Catherine Gendrin et Christophe Waïss. La première est auteure interprète ; le second, metteur en scène. Catherine Gendrin a écrit un texte ciselé, poétique qui prend racine quelque temps avant la décennie noire, qu'il traverse en geignant, en transes douloureuses. Pendant que l'héroïne grandit ! L'histoire se passe dans un petit village dans la région d'Aïn Sefra. Zineb est une enfant qui se prépare à sa première rentrée scolaire. C'est une petite fille choyée par ses grands-parents lesquels placent en elle tous leurs espoirs : elle ira loin dans la vie, elle sera même institutrice. Le texte est constellé de contes, de légendes… “vraies” ou inventées ? C'est toujours des aventures humaines qui mettent l'amour en butte à des différences religieuses, sociales… M'barka est une femme qui commande aux hommes qui, à force de ruse et d'intelligence, sauve son ksar (palais fortifié) du siège d'un prince rapace, amoureux éconduit.L'enfant grandit… Elle obtient son bac mais doit mettre un terme à son rêve, au rêve de sa famille : elle ne pourra pas aller à Oran pour continuer ses études et devenir institutrice. Car, entre-temps, l'ogre terroriste, qui se prend pour “envoyé d'Allah”, mets le pays à feu et à sang. Zineb, retranchée dans un réduit, suit en direct le massacre de sa famille… À plusieurs reprises dans le spectacle, une voix off, enregistrée (celle de Abdeslem Abdelhak, guide et journaliste algérien), ouvre des parenthèses d'histoire immédiate, sorte de chronique funèbre et politique qui dénonce, outre la barbarie des islamistes intégristes, la théorie du “qui tue qui ?” et la réconciliation nationale qui permet aux assassins d'hier de parader, enrichis, parmi leurs victimes. La voix témoignage dans le noir tombé sur la scène que troue un rai de lumière porté sur les mains de la comédienne qui construisent et reconstruisent un château de cartes qui peine à rester debout ; c'est l'espoir sans cesse reporté. C'est l'un des rares moments où l'on voit la comédienne assise. Cathérine Gendrin se définit plus comme conteuse que comédienne et pourtant elle fait œuvre de comédienne accomplie aussi bien dans la gestuelle que dans la voix, l'articulation. L'expression du visage est à elle seule toute une pièce.Deux images, l'une allégorique l'autre plus littéraire et symbole de fierté, reviennent tout au long du spectacle pour le ponctuer, comme, peut-être, un effet de distanciation : un ballon de baudruche rouge, cadeau du grand-père, que Zineb recevra tout au long de croissance et une chèche rouge dont le bout flotte au vent tel un étendard. Certains spectateurs, à l'instar de Jean-Paul Lliedo présent dans la salle, vont déplorer la longueur du spectacle mais sans en renier toutes les qualités. La mise en scène, élaguée mais efficace participe, tout comme les lumières (de Morane Asloum) à donner un volume, une profondeur de champ qui permet l'évasion. On atterrit dans une salve d'applaudissement et la narratrice est toute fière de nous avoir ramenés sur le tarmac de l'Aire Falguière. Elle vient à nous, on la félicite. A. Y. Algeria, de miel et de braise (Théâtre Aire Falguière, 55, rue de La Procession Paris 15° – du 20 janvier au 4 mars 2009 – mardi et mercredi à 20h45, dimanche à 17h30, www.airefalguière.com)