Rafik Khelifa a affirmé que les documents à charge présentés par le tribunal criminel de Blida sont des faux. Abdelmoumen Rafik Khelifa a été entendu hier après-midi pour la première fois par le tribunal de Westminster, à Londres, et ce, depuis le début des auditions portant sur l'examen de la demande d'extradition formulée à son encontre par la justice algérienne. Très posé et sûr de ses réponses, l'ancien milliardaire, qui s'est exprimé en français, a voulu donner à l'assistance l'image d'un homme d'affaires brillant qui a été victime d'une cabale politique et judiciaire. Son avocat Ben Branden lui a permis de livrer sa version des faits en lui posant des questions précises sur son parcours personnel, l'ascension de son groupe et ses rapports avec la classe politique et l'armée en Algérie. Sur ce dernier point, Khelifa dit avoir entretenu des relations exclusivement professionnelles avec le personnel militaire et politique. À aucun moment, il n'aurait eu besoin d'un coup de pouce du gouvernement ou de l'armée pour fonder et faire prospérer son empire. “J'ai connu les responsables politiques et militaires quand j'ai commencé à travailler avec eux sur des projets”, a-t-il appris au tribunal. À ce sujet, il a cité la conclusion par Khalifa Airways du contrat d'achat de 6 hélicoptères de fabrication US pour l'ANP. Dans ces circonstances, Khelifa assure avoir rencontré l'ex-chef d'état-major de l'ANP, le général de corps d'armée Mohamed Lamari. Revenant sur ses relations avec le président Bouteflika, l'ancien golden boy révèle que celui-ci le sollicitait régulièrement pour la prise en charge et le financement de certaines opérations médias visant à redorer l'image de l'Algérie à l'étranger. Il assure ainsi avoir financé une rencontre du Nepad au Nigeria, qui avait coûté au groupe 200 000 dollars US. À la question posée par Me Branden et qui a consisté à savoir pourquoi se montrait-il si prompt à répondre aux sollicitations de l'armée et du Président, Khelifa déclare “avoir fait ça pour l'Algérie”. Citant en exemple le contrat d'achat des hélicoptères, il affirme que le Congrès US aurait stoppé la transaction si l'armée était directement impliquée car au début des années 2000, l'Algérie était encore sous embargo. Sur sa proximité avec les dirigeants, il raconte qu'il était invité à tous les dîners officiels entre 2001 et 2002. Mais peu après, les choses ont, selon lui, commencé à se détériorer. Plus proche des militaires “avec qui il est plus facile de travailler”, Khelifa révèle avoir eu à subir la colère du Président auquel déplaisait par exemple l'idée de créer une TV concurrente de l'ENTV et qui aurait pu contrecarrer sa réélection en 2004. D'après lui, les représailles ont été immédiates. Le 27 novembre 2002, El Khalifa Bank périclitait. “Au niveau de la Banque d'Algérie, on m'a dit que la décision émane directement de Bouteflika”, raconte l'ancien patron. Il révèle, par ailleurs, qu'avant cette date, des cercles lui avaient demandé de faire attention et que des choses se préparaient contre lui. Du rapport hostile de la DGSE (contre-espionnage français) aux tentatives d'assassinat dont il dit avoir fait l'objet en France et à son arrivée au Royaume-Uni, Khelifa se pose définitivement en victime d'une vengeance. C'est en tout cas ce dont il a essayé de convaincre le juge Timothy Workman. Il faut savoir que la séance a commencé dans la matinée. Les représentants de la défense et de la partie civile ont rejoint la salle d'audience les bras chargés de cartons contenant des piles de dossiers. Les documents en question traduisent l'ensemble des rapports d'expertise sur la situation politique et des droits de l'Homme en Algérie requis par le tribunal à cette phase ultime des auditions pour appuyer son verdict concernant l'extradition ou pas de Rafik Moumen Khelifa. Les pièces représentent également les assurances diplomatiques produites par l'Etat algérien pour cette question, les comptes-rendus des décisions de justice dont le verdict d'une cour parisienne exploité par la défense et relatif à son refus de livrer aux autorités algériennes l'ex-épouse de Khelifa et l'oncle de celui-ci. Un agenda des débats a été remis aux présents au début de l'audience. Il inclut l'ordre de passage des experts et l'examen du contenu des rapports dont les auteurs seront absents à la barre. Commençant par avouer l'identité des témoins à charge, 7 au total (dont le professeur Joffé et le docteur Roberts, deux académiciens spécialistes de l'Algérie), l'avocat de Khelifa s'est employé aussitôt après à contester la recevabilité des contre-expertises présentées par la partie civile. Me Branden a ciblé en particulier une analyse réalisée par Antony Leidman, un haut fonctionnaire du Foreign Office. Dans un commentaire favorable à l'extradition de l'ex-golden boy, le diplomate connu pour avoir pris en charge des affaires impliquant la livraison de terroristes aux autorités algériennes considère que Khelifa devrait bénéficier d'un procès équitable une fois de retour dans son pays. Pour créditer cette opinion, Me Julian Knowles, représentant de la partie algérienne, a évoqué des rapports du Foreign Office et du secrétariat d'Etat américain qui estiment que l'Algérie est sortie d'un grand chaos et est déterminée à construire un Etat démocratique. Ne se laissant guère influencer, Me Branden est resté dans sa logique, qualifiant un tel jugement de partiel et d'erroné. Selon lui, Leidman par exemple ne fait que reprendre les assurances diplomatiques algériennes. S'exprimant sur ses garanties, l'avocat a émis une première réserve concernant leur réception tardive par son cabinet. Ce qui, d'après lui, n'a pas laissé le temps aux témoins à décharge d'y apporter leur commentaire. Très occupé, le Dr Roberts ne devrait pas d'ailleurs être présent à l'audience avant jeudi. Il en est de même pour le professeur Joffé. Selon certaines sources, les atermoiements de la défense et sa tendance à repousser les échéances traduisent une certaine inconsistance. À ce stade des auditions, la bataille est loin d'être uniquement judiciaire. L'histoire récente de l'Algérie sera revisitée, décortiquée et mise sur une balance où deux versions de l'affaire Khalifa se confrontent. Celle de l'escroquerie et une autre de la machination. Le procès reprendra aujourd'hui et durera jusqu'à vendredi. S. L.-K.