Le juge Timothy Workman a programmé une nouvelle audition de l'ex-milliardaire algérien pour le 18 avril prochain. À l'issue de cette troisième audience, il devrait statuer sur la recevabilité de la forme de la requête de livraison. Abdelmoumen Rafik Khelifa a comparu hier dans la matinée devant le tribunal de Westminster à Londres, pour la seconde fois consécutive (la première audition a eu lieu le 11 mars dernier), dans le cadre de l'examen par la justice britannique de la demande d'extradition formulée à son encontre par les autorités algériennes. Victime d'un léger malaise (son interprète évoque une grippe), le mis en cause est arrivé en retard d'une dizaine de minutes à l'audience. Derrière la baie vitrée qui le séparait du reste de l'assistance, il suivait distraitement le déroulement des débats, comme si le procès ne le concernait pas et n'engageait en rien son avenir. L'ancien golden boy semble avoir la certitude qu'il ne sera jamais livré à la justice de son pays. Sa défense, en tout cas, y croit dur comme fer. Ce qu'elle qualifie “d'incohérences et d'ambiguïtés” dans la requête algérienne sont les principaux atouts de sa stratégie. Ben Branden, le “barrister” (un avocat ayant la prérogative de faire des plaidoiries) choisi par Anna Rothwell, défenderesse de Khelifa pour exprimer ses réserves devant la cour, s'est attelé pendant plus d'une heure à convaincre le juge Timothy Workman que la requête de l'Algérie sous la forme avec laquelle elle a été présentée est irrecevable. Me Branden s'est d'abord interrogé sur la nature précise de la demande de livraison qui, à ses yeux, manque de clarté. “Est-elle basée sur une condamnation ou sur des accusations ?” a-t-il demandé. Selon lui, la partie algérienne ne peut pas présenter le verdict du tribunal criminel de Blida (qui a condamné Khelifa par contumace à la prison à perpétuité dans le procès de la faillite frauduleuse de la banque éponyme) de mars 2007 comme un argument favorable à l'extradition et, en même temps, prévoir, dans sa demande, d'organiser un nouveau procès et de rejuger l'ex-milliardaire après sa livraison. De la même façon, l'avocat estime que cette sentence ne peut pas être prise en compte si l'Algérie fonde sa requête sur des charges, dont il faut prouver la véracité. Enfin, il note que le tribunal de Blida, dans le compte rendu de sa décision, préconise l'extradition de Khelifa, mais ne la considère pas comme impérative. La seconde brèche exploitée par la défense et qui, de son avis, compromet la livraison concerne l'absence d'un mandat d'arrêt accompagnant la demande d'extradition. Il est à noter, en effet, que Khelifa est en détention à Londres, suite à l'exécution par la police britannique d'un mandat d'arrêt européen, délivré à son encontre par le tribunal de haute instance de Nanterre en région parisienne, dans le cadre de l'ouverture d'une information judiciaire sur la banqueroute très suspecte de certaines filiales du groupe se trouvant en Hexagone. Sur leur demande, Anna Rothwell et Ben Branden ont reçu, vendredi dernier, des copies de deux mandats d'arrêt émis par les autorités judiciaires algériennes. Or, à leurs yeux, ils n'ont aucune valeur. Me Branden a mis en évidence, à l'audience, que l'existence de ces documents est antérieure à la signature (en 2006) puis à la ratification (2007) de la convention d'extradition entre l'Algérie et le Royaume-Uni. Allant dans le détail, l'avocat a fait remarquer au juge qu'un des mandats est daté de 2002, période pendant laquelle Khelifa était encore en Algérie. D'abord surpris, Hugo Keith, représentant de la partie civile, a apporté un rectificatif en mettant cette confusion de dates (le premier mandat d'arrêt international délivré par l'Etat algérien contre Khelifa remonte à 2003) sur le compte de la traduction des documents de l'arabe à l'anglais. Par ailleurs, il s'est employé à préciser la nature de la demande de livraison qui, selon lui, est fondée sur des faits pour lesquels le milliardaire déchu a été condamné. “On ne pas peut avancer contrairement aux aiguilles de la montre”, a illustré Me Keith. Après trois heures de débat, le juge Workman a convié les deux parties à une nouvelle audience qu'il a fixée pour l'après-midi du 18 avril prochain. À l'issue de cette énième audience, il pourrait décider s'il accepte la requête algérienne dans sa forme originale. La prochaine étape consistera à l'examen du fond de la demande. D'ores et déjà, la défense de Khelifa prépare son offensive. Elle révèle au juge son intention de faire appel à des experts pour s'imprégner du climat politique en Algérie. Sur le fond, Anna Rothwell et son collègue Ben Branden pensent détenir un argument imbattable. Selon eux, Khelifa fait l'objet d'un procès politique dont il est un simple bouc émissaire. En revanche, pour la partie civile, l'ex-milliardaire est un escroc, évidemment. De Londres : Samia Lokmane-Khelil