L'espace “Un auteur, un livre”, abrité mensuellement par le Centre culturel français d'Alger, a reçu, mardi dernier, le sociologue anthropologue et non moins poète Habib Tengour, dont l'œuvre littéraire reste encore si peu connue en Algérie. Pour y remédier et à l'occasion de la réédition, par les éditions françaises La Différence, de son roman-poème le Vieux de la montagne, une rencontre modérée par le journaliste et auteur Rachid Mokhtari, a été organisée. Malheureusement, celle-ci a attiré peu de monde. Le temps d'une rencontre d'environ deux heures, le poète surréaliste algérien, Habib Tengour, a présenté son œuvre, les problématiques qui l'habitent, la tendance élitiste avec laquelle il est affublé à chaque fois — à telle enseigne que ce qualificatif ne le dérange plus —, les questionnements qui traversent son écriture ainsi que la mécanique de celle-ci. Mais il a surtout été question de son récit et/ou roman-poème, le Vieux de la montagne, paru pour la première fois en 1977, et réédité récemment en France, aux éditions La Différence, avec un nouveau texte qui accompagne le premier intitulé Nuit avec Hassan. Dans le Vieux de la montagne, il est question de trois personnages historiques qui ont marqué leur temps et la postérité, à savoir l'illustre poète bachique des Roubayyat, Omar Khayyam, le chef de la secte des assassins, Hassan Sabbah, et l'opportuniste vizir, Nizam El-Molk. Ces trois êtres que tout oppose ont pourtant un point commun : l'amour ou plutôt le désir de Badra. Chacun des trois protagonistes cherchent en Badra son idéal ; une forme d'absolu. Pour Omar Khayyam, Badra serait la liberté absolue tant recherchée mais jamais atteinte dans un monde d'injustice et de frustrations. Pour Hassan Sabbah, Badra est une femme convoitée qui aurait peut-être été, dans une autre vie, un amour de jeune ; quant à Nizam El Molk, Badra est une épouse parmi tant d'autres, quoiqu'elle aurait pu être sa favorite… Badra prend à bien des égards les allures de Nedjma de Kateb Yacine, à la différence que Badra ne se confond pas avec la terre et l'amour du pays, mais plutôt avec la quête d'une certaine forme d'absolu. On se croirait déjà dans Samarcande d'Amin Maalouf, et on pourrait avancer qu'il est question d'Histoire encore une fois, maquillée par une histoire d'amour. Mais ce n'est pas le propos et encore moins le but de Habib Tengour, à travers le Vieux de la montagne. En effet, l'auteur considère que “l'histoire est convoquée pour quelque chose et avec des mécanismes qui ne se limitent pas seulement à raconter une histoire”. En fait, le lecteur est sollicité pour pousser la réflexion au-delà du texte en lui-même, comme il est souvent, voire toujours, question dans les œuvres surréalistes. Il faut donc faire un travail de transposition et une espèce de “télescopage”, car le contexte de Nichapour intéresse peu un lecteur maghrébin qui est, comme le dit si bien Tengour, “réaliste par nature”. Si on schématise, on verra que Hassan Sabbah représente la montée du fanatisme religieux obscurantiste dans les années 1990 en Algérie ; Nizam El-Molk symbolise les opportunistes qui sont prêts à tout pour prendre le pouvoir et s'enrichir envers et contre tous. Quant à Khayyam, c'est l'esprit libre et affranchi de toutes les convoitises terrestres. Le drame de Khayyam, de Nichapour est le drame de l'Algérie des années 1990 terrassée par l'injustice, l'arrivisme, l'oppression, la répression et l'obscurantisme. Et au milieu de tout cela, une lueur d'espoir, un rai de lumière… l'homme qui se cherche ! Par ailleurs, Habib Tengour a parlé de sa relation avec le peintre Mohamed Khedda (qui lui a d'ailleurs préfacé son recueil de poésie l'Arc et la Cicatrice), du rapprochement de son œuvre avec celle de l'écrivain marocain, Mohammed Kheireddine, ainsi que de sa culture plurielle acquise à la faveur de son exil, de ses voyages et de sa découverte, à un âge très précoce, du cinéma hollywoodien. En revanche, Habib Tengour n'a aucune idée de ce qui se fait actuellement comme littérature en Algérie. Mis à part Yasmina Khadra (qui tend vers l'universel), il ignore littéralement tout des jeunes auteurs de l'Algérie d'aujourd'hui. Malheureuse révélation, certes, significative d'une méconnaissance flagrante des nouvelles écritures et des pratiques littéraires actuelles. La poésie a donc pris le pouvoir pour quelques heures, mais il n'en demeure pas moins que ce genre soit le parent pauvre de la littérature. Sara Kharfi