Le Maître de l'heure est un texte qui remonte à la fois dans le mythe de la tradition populaire algérienne et qui s'interroge sur la mondialisation d'aujourd'hui. Il y a lien avec ce qui se passe en Algérie aujourd'hui », nous a-t-il expliqué lors d'une rencontre à la Librairie El Djazaïr News à Alger, en marge d'un débat sur les droits des femmes en Algérie. « On disait qu'autrefois un conteur captivait tous les hommes de la ville au point que le muezzin oubliait d'appeler à la prière. » Habib Tengour a hérité de ce talent. Il captive son lecteur de la première à la dernière ligne. « Les Turcs ont coupé la tête à ton frère ! Va à Alger la chercher ! ». Que ça lui plaise ou non, le jeune homme n'a qu'à se plier à l'ordre du paternel. Roman de formation, récit picaresque, ironique et tendre Le Maître de l'heure est une exploration jubilatoire et rageuse du temps où la littérature voulait édifier son auditoire, est-il relevé dans la présentation du roman par les éditions de La Différence de Paris. Ces éditions ont également publié Le vieux de la Montagne (publié en 1977). Le premier livre vient d'être réédité accompagné d'un nouveau texte, Nuit avec Hassan. Le Vieux de la montagne est Hassan As-Sabah, fondateur au XIe siècle de l'Etat d'Alamut, en Iran, au sud de la mer Caspienne et de la secte des Assassins, secte chiite ismaélienne nizârite, considérée par les historiens comme « une société secrète ». Grâce à un jardin caché, présenté comme le paradis, Hassan As-Sabah avait pu manipuler les esprits de jeunes athlètes, entraînés pour tuer et endoctrinés pour se donner la mort à tout instant. Le Vieux de la montagne est un titre utilisé par les artistes comme Bernardo Porta pour un opéra en 1802 et Alfred Jarry pour un roman en 1896. Habib Tengour a imaginé une histoire autour de l'amitié entre Hassan As-Sabah, Abou Ali Nizam Al Mulk, connu par le sobriquet de « Al wazir Al kabir », et le poète Omar Khayyam. « Une interrogation inquiétante sur le rôle de l'intellectuel face au pouvoir, un reflet poétique du grondement intégriste à travers les siècles et les continents (...)Le texte constitue un perpétuel va-et-vient entre la Perse médiévale, l'Algérie d'aujourd'hui et un certain Paris des émigrés », explique l'éditeur du roman. Nuit avec Hassan se veut être une continuité du roman Le Vieux de la Montagne. L'écrivain travaille sur un nouvel ouvrage, l'Ancêtre cinéphile, à paraître en janvier prochain. « Un long poème épique, de l'Algérie, de l'exile... », dit-il sans trop de détails. Habib Tengour est amer lorsqu'il évoque la situation du pays. « La culture algérienne est en mauvais état. Il y a énormément de problèmes. Pas d'infrastructures, pas de politique culturelle dans le pays. Beaucoup d'écrivains et d'artistes vont chercher leurs possibilités de s'épanouir ailleurs, parce qu'ici, il n'y a rien. Il y a des balbutiements, mais pas de soutien sûr. L'Algérie est un pays riche, a beaucoup de moyens mais... », regrette-t-il laissant l'impression de chercher encore des mots. Il connaît Assia Djebbar, Yasmina Khadra mais pas plus. Il y a des blancs qu'il n'arrive pas à combler sur la littérature algérienne actuelle. Installé en France depuis 1959, il n'a jamais rompu avec son pays. Il fut pour un temps enseignant à l'université de Constantine. Poète, romancier et anthropologue, Habib Tengour, 62 ans, avait une solide amitié avec le peintre Mohamed Khedda. Le plasticien a illustré le recueil de poème La Nacre à l'âme, paru en 1981. Habib Tengour aime bien parler de l'écrivain marocain Mohammed Khaïr-Eddine, auteur des célèbres romans Une odeur de mantèque et Une vie, un rêve, un peuple, toujours errants, dont il partage la démarche créative. Décédé en 1995, Mohammed Khaïr-Eddine, qui a longtemps vécu à Paris, a souffert de la censure de ses œuvres au Maroc. Le public n'a commencé à découvrir ses écrits qu'à partir des années 2000, grâce à l'audace des éditions Tarik.