Les points-clés développés l'autre jour à la Radio nationale par Ahmed Ouyahia mériteraient en vérité que l'on s'y attarde au cours de tout un exposé succinct et segmenté tant ils apparaissent comme les éléments d'un schéma général de conduite et d'exécution d'une politique. Mais le fait est qu'aujourd'hui il serait sans doute plus urgent de ramener l'essentiel à la préoccupation de toutes les préoccupations, que constitue celle de l'intérêt national. L'analyse de l'intervention du Premier ministre reflète, certes, les axes principaux de la politique globale de l'Etat algérien : stratégie économique et industrielle, sécuritaire, plan de relance, etc., sans pour cela révéler vraiment des changements dans le fond. Dans la trame de cette intervention, il y a en revanche le souci d'encourager cette mutation importante qui se situe, elle, dans la mise en œuvre d'une politique d'avenir pour redresser un pays qui était sens dessus dessous il y a quelques années, et qui ne pouvait s'accomplir qu'à travers une prise de conscience collective des Algériens du concept élémentaire et fondamental de l'intérêt général, précisément. L'on pourrait reprocher, soit dit en passant, tout ce qu'on veut à Ouyahia sauf de ne pas être quasiment obsédé par l'intérêt national. De nouveau, il aura donc insisté, dans l'ensemble, pour un gouvernement très sérieusement orienté vers la poursuite des réformes, toujours en élargissant peu à peu le champ à tous les secteurs qui ont nourri une crise interne politique et économique interminable dont tous les Algériens doivent se souvenir encore, et qui a fait le lit de l'ignorance et de l'intégrisme, amenant les jeunes et les moins jeunes à errer de désespérances en fatalisme, en proies parfaites de manipulations idéologiques, politiques et médiatiques. La multiplication et l'enchevêtrement des problèmes sociaux, et parfois idéologiques, ont conduit l'Algérie à un stade de saturation tel que, même à présent, il faudrait encore beaucoup de patience, d'abnégation, et une volonté exceptionnelle, afin d'atteindre un bon niveau de prise en charge qui permettrait de réduire la tension sociale, un tant soit peu, et de réorienter les énergies vers le développement. Et, comme une relation de cause à effet, la prise en main de la chose politique est en effet devenue plus que jamais une affaire sérieuse. La prise en compte de l'intérêt national requiert toutefois que l'on se rende compte, ou que l'on rende compte, de toutes les vérités, et pas seulement les mauvaises. Que l'économie nationale ne soit pas au niveau souhaité pour être au diapason avec la mondialisation et la compétitivité internationale, qui pourrait bien le nier. Il y a à peine dix années, l'Algérie est sortie ruinée d'une des périodes les plus noires de son existence : 150 000 morts, 30 milliards de dollars de pertes matérielles, des centaines de milliers de blessés, traumatisés, disparus, déplacés, exilés, humiliés, destruction du tissu social et appauvrissement de la société. Le taux de chômage égal à zéro ne semble exister nulle part Il y a aussi grave. Car selon un schéma observé déjà au cours d'autres conflits à l'échelle mondiale, les réseaux de trafic illicite peuvent devenir des instruments de développement du terrorisme. Et durant la décennie noire, l'Algérie a été ravagée par ces réseaux, jusqu'à y subir les séquelles des années après. “Plus les transactions politiques et économiques locales sont informelles, plus il est facile de les diriger vers “autre chose”, si bien que la distinction du licite et de l'illicite, de la légalité et de la criminalité, devient tout aussi floue que les frontières entre la corruption, le monde de l'entreprise et la vie politique”, explique une analyse récente effectuée par des spécialistes de l'Afrique realpolitik. Dans l'intervention à la radio, le dispositif sécuritaire qualifié par Ahmed Ouyahia de “puissant puisqu'il a donné de bons résultats dans la lutte antiterroriste”, s'inscrirait dans le sens, et l'application des plans de relance économique, en l'occurrence, supportée par un déblocage rarissime, unique, par le Trésor public de centaines de milliards de DA, est un élément menant droit à la stabilité. Mais il existe d'autres indices révélateurs de ce qu'on pourrait bien nommer peut-être par action multiple dans l'intérêt national, et seulement l'intérêt national, menée dans le cadre du programme du président Bouteflika dès sa première élection à la tête du pays en 1999, et qu'Ahmed Ouyahia est en train de mettre en œuvre une nouvelle fois après avoir été reconduit aux fonctions de Premier ministre en janvier dernier. L'un des plus importants concerne évidemment le chômage, problème numéro un en Algérie. Le marché de l'emploi présentait la caractéristique d'être plat et sans aucune espèce d'indication positive, tourné vers la rareté des postes offerts dans tous les secteurs. Surtout, à une époque, l'on n'a pas pris la précaution de tenir compte de l'état d'une économie quasiment moribonde, qui ne pouvait que rejeter l'ouverture de postes de travail, car cela ne pouvait rimer à rien d'autre que de surcharger inutilement les coûts d'investissement. L'argument se traduisait de la manière suivante : faire absorber par l'université tous les jeunes bacheliers en ignorant totalement leur devenir, et en les orientant vers des études pas toujours avantageuses pour leur avenir. À force de former des bataillons de jeunes dans des filières improductives, sans tenir compte des besoins de l'économie algérienne, sans chercher à résoudre préalablement l'équation formation/emploi, une saturation dans la majorité des secteurs a été très vite atteinte. Ni le travail ni la rigueur n'ont existé durant des décennies La situation de l'emploi n'a pas fini de faire des dégâts dans la mesure où, jusqu'à présent, de très nombreux diplômés, sortis des universités, restent de moins en moins sûrs de trouver du travail, et s'ils en trouvent, beaucoup occupent des emplois subalternes bien en deçà de leur niveau ou en dessous de leurs capacités. La problématique se définit cependant en deux phases aujourd'hui : la création de 1 million d'emplois toujours d'actualité et la baisse du taux de chômage durant ces dernières années. Posée en termes de facteur de croissance, la question de l'emploi ne peut que déterminer l'évolution ou au contraire la régression d'un pays. C'est d'autant plus significatif en Algérie que les chiffres du chômage ont stagné autour de trois millions environ pendant très longtemps. Les chiffres révèlent actuellement au moins une chose capitale, à savoir le bouleversement du marché de l'emploi qui a été secoué. Plus exactement il est maintenant possible d'évoquer un marché en mutation, alors qu'il était en stagnation, de même qu'il est utile de constater que le marché du travail ait pu se régénérer enfin et offrir une première indication positive depuis des années. Tout le monde a le droit de douter de la véracité des chiffres mais nul ne peut nier qu'il existe une tendance éminemment éloquente dans ce sens, dirigée ouvertement vers une sortie d'une crise économique qui avait mis à mort des pans entiers du secteur productif, depuis le bâtiment jusqu'à l'industrie en passant par les petites et moyennes entreprises. Si l'amorce d'une crise financière internationale en 2009 comporte des risques sur ce plan-là, il n'en demeure pas moins qu'ils seront ralentis, et le nouveau plan de 150 milliards vient conforter la dynamique de l'emploi, d'autant que le taux de chômage égal à zéro ne semble exister nulle part dans le monde, encore moins ces temps-ci. Dans cette prise en compte de l'intérêt national, une valeur entre en considération qui est celle du travail et son corollaire indispensable la rigueur. Il faudrait sans doute encore du temps avant que ces deux principes cardinaux s'incrustent dans les méthodes de gestion de beaucoup de responsables algériens qui ne se lassent jamais, en attendant, de conférences et de séminaires qui ne servent à rien. Le fait est patent : ni le travail ni la rigueur n'ont existé durant des décennies, mis à part quelques volontés qui ont réussi à sauver le pays du chaos. L'on ne peut ignorer que l'un des fondements de l'augmentation salariale se trouve être inversement proportionnelle au rythme de la productivité et que, très souvent, la croissance se conjugue également avec la qualité du travail. Pourtant, l'économie a fait un bond en avant spectaculaire durant ces dernières années, d'abord parce que la violence terroriste a décru considérablement, ensuite par l'ouverture de très nombreux chantiers dans tous les domaines. Le taux de croissance se hisse autour de pourcentages jamais égalés, alors qu'il n'a que rarement dépassé les 2 à 3 % pendant des années, le chômage a baissé et l'Algérie donne cette impression de changer de visage régulièrement. Dans quelques années, l'Algérie sera peut-être un pays fortement structuré grâce à son pétrole et au programme économique soutenu par le Président Bouteflika, qui semble avoir perçu très nettement la volonté d'en finir avec les quiproquos. Plutôt que de s'engager dans la voie périlleuse d'une industrie industrialisante, qui a fait faillite dans les années 1970, ce programme a préféré le pragmatisme lié à une première vision à court terme du développement, basé sur le sectoriel et le prioritaire. Mais pour en revenir aussi à l'essentiel, le pétrole demeure un produit conjoncturel. L'on ne le dira jamais assez. Et c'est en retroussant les manches que les Algériens pourront contribuer au développement national, dans l'intérêt des générations futures et de l'intérêt national. C'est d'une évidence… Zoubir Ferroukhi