Le nombre important des analyses et commentaires atteste, certes, de l'ampleur de la crise, mais elles traduisent une certaine tiédeur, une réticence à aller au fond des choses. En fait, des attitudes très équivoques. Deux types d'argumentaires ont été globalement avancés. La finance, industrie qui ne peut être régulée Le premier consiste à dire que cette crise vient s'additionner à d'autres qui l'ont précédé, et finalement, il s'agit là de perturbations conjoncturelles, liées au processus de mondialisation de l'économie. La réserve fédérale américaine a manqué de vigilance et ferme les yeux sur la propension que prenaient les prêts immobiliers extrêmement risqués. Finalement, des mesures techniques alliées au temps permettront que tout rentre progressivement dans l'ordre. La seconde attitude estime, elle, que la crise est plus profonde et sa gravité est liée au fait que le contrôle aurait dû être plus rigoureux et plus efficace. En conclusion, c'est la régulation qui est en cause Mais, ils soulignent qu'en tout état de cause la régulation ne pourra pas réellement s'exercer, parce que la finance est devenue une industrie ouverte, et ni les Etats, ni le FMI n'ont réellement vocation à jouer le rôle de régulateur. Escroquerie et manque de loyauté À leurs yeux, le seul remède est de sanctionner les financiers égarés. Le Trader Jérôme Kerviel, Société Générale, dont les pertes s'élèvent à 4.9 milliards d'euros, estimait avoir du talent et joua 50 milliards d'USD, soit le PIB du Maroc. Le second cas, l'ancien patron de Nasdaq (Madoff), qui met en place une gigantesque fraude de 50 milliards USD, montant suffisant pour éradiquer la faim dans le monde. Ces cas hautement médiatisés permettent ainsi de soulager les consciences, de réduire l'impact psychologique négatif sur une grande partie de l'opinion générale occidentale qui n'arrête pas de subir les contrecoups de la crise. Les coupables sont ainsi désignés et le dossier est expurgé de ces rancœurs. Ce qui permet de soutenir que le système dans ses fondements n'est pas en cause. Cependant, ces approches dénotent comme un manque de loyauté vis-à-vis de l'opinion générale. Ceci, d'autant que l'ensemble de ces raisonnements qui ne sont pas si dissemblables feraient presque oublier qu'entre janvier et décembre 2008, les plus grandes places financières ont perdu pratiquement la moitié de leur capitalisation, soit environ 35 000 milliards de dollars, soit plus de deux fois le Produit intérieur brut américain. Menace sur l'économie mondiale Penchons-nous de plus près sur les différents paramètres qui ont permis à la crise de prendre corps. En effet, des créances importantes, notamment des prêts hypothécaires consentis, sont traduites en titres et titrisation puis transformées en actifs financiers et leur circulation a pris de l'ampleur et a accompagné la spirale spéculative qui s'est sophistiquée et s'est étendue au monde grâce aux décloisonnements et à la dérégulation du marché (aucun contrôle sur la validité du titre, sur sa valeur réelle). C'est aussi aux Etats-Unis que s'est situé l'épicentre de la crise, et c'est aussi aux Etats-unis qu'existe le plus grand nombre de spéculateurs, ces fameux Hedge Funds, fonds spéculatifs dont les rendements ont pu atteindre jusqu'à 590% (Paulson crédit – 2007) Entre 2002 et 2007, les engagements sur les produits dérivés sont passés de cent mille milliards de dollars à cinq cent seize mille dollars, soit 35 fois le PIB des Etats-Unis et quasiment 14 fois le PIB de la planète. C'est une menace réelle pour l'économie mondiale. Choc et vision brouillée des institutions Le choc est tel que les institutions internationales elles-mêmes voient leur vision brouillée et ne maîtrisent plus les données et évolutions de l'économie mondiale. Les prévisions contradictoires se multiplient durant l'année 2008 Les prévisions de croissance, affichées à 2.2% en novembre 2008, pour 2009 sont revues à la baisse, soit 0.5% 176 millions de travailleurs passeront en 2009 sous le seuil de la pauvreté (Rapport annuel BIT) Le FMI prévoyant une contraction de l'économie américaine de 1.6% en 2009 alors qu'il escomptait précédemment une contraction de 0.7%. Selon le FMI, pour la première fois depuis l'après-guerre, les pays développés seront en récession sur l'ensemble de 2009, et il prévoit une contraction de leur Produit intérieur brut de 0.3%. L'ensemble de ces chiffres effarants et qui se situent, il faut le souligner, au début de la crise, nous permet de mesurer la réalité et la gravité de la situation. Les plus grands spécialistes sont interloqués et font part de leur manque de confiance contrairement aux analystes technicistes. Josef Ackermann, PDG de la Deutsche Banque et figure emblématique du capitalisme européen, précise : “Je ne crois plus au pouvoir correcteur du marché''. (Bloomberg 17 mars) Horst Kobler, ancien directeur général du FMI et président de la RFA, va plus loin : “Les marchés internationaux se sont métamorphosés en un monstre qui doit être repoussé dans sa tanière”. (Stern, 15 mai) La réalité est que l'analyse financière et économique à elle seule ne suffit pas à recouper le sujet ni à traduire sa complexité, ceci, d'autant que sa dimension politique est incontestable. C'est manifestement l'ensemble des systèmes qui sont en cause. Dans leurs choix et méthodes financiers économiques ou politiques. Rattaché à un espace sociopolitique précis des grands pays occidentaux, le système financier et bancaire a d'abord accompagné l'entreprise dans l'investissement. Puis dans un second temps, impulsant une globalisation non dénuée d'arrière- pensées politiques, il s'est retrouvé aspiré par les logiques d'un modèle de compétition hystérique effrénée et de recherche de rentabilité excessive. Cette dynamique a finalement impulsé tout un modèle socioculturel nouveau, entièrement centré sur la consommation qui est devenue une valeur. Démarche qui a pris la dimension d'une véritable schizophrénie collective. Une fuite en avant devenue vite une attitude culturelle forte. Et j'emprunterai pour qualifier cette situation à Warren Buffett, qui ne peut être taxé d'anti-libéral, ce commentaire incisif et pertinent. Début de citation : “Au début, c'est la gestion de l'entreprise qui influe sur le cours de la Bourse. Au bout d'un certain moment, la spéculation prend le relais. L'histoire est bien connue, ce qui est commencé par un homme raisonnable est achevé par un fou”. Fin de citation Le prix de la folie La facture n'étant encore que provisoire est que : L'endettement des ménages américains est passé de 7 680 milliards de dollars en 2001 à 13 825 milliards de dollars en 2007, soit un taux d'endettement moyen de 140%, contre 68% en France. Toujours aux Etats-Unis, 2.6 millions de logements ont fait l'objet d'une procédure de saisie en 2008. Le PIB plonge à - 6,2% (recul le plus important depuis 26 ans) alors que les pronostics envisageaient au plus autour de 5%. Les exportations américaines s'effondrent de 23,6%, les importations de 16% Le PIB du Japon a reculé de 12,7% Le BIT et l'OCDE estiment que le chômage dans le monde pourrait toucher entre 20 et 25 millions de personnes de plus d'ici à fin 2009, atteignant un record de 210 millions en 2009. Comment réagiront les sociétés de ces pays qui ont perdu l'habitude de la précarité à grande échelle. Les pays émergents ne sont pas en reste. En Chine, 670 000 petites entreprises ont fermé en 2008. La croissance, alors qu'elle était à 11,9%, descend à 7,5% et va continuer à se tasser (1 milliard deux cents millions) La stabilité sociale de ce pays passe par une croissance minimum de 8% pour créer des emplois. M. L. (*) Ancien ministre du Travail et de la Protection sociale, diplomate, membre de l'Académie royale espagnole pour les sciences économiques et financières, académicien correspondant pour l'Algérie. M. Laïchoubi a déjà participé à divers actes internationaux de la Racef. La Racef est l'unique académie royale d'Espagne qui a son siège dans la capitale catalane. Actuellement, elle compte 42 académiciens numéraires et 31 correspondants espagnols et étrangers.