Le cinéaste, Ali Ghanem, qui vit depuis une quarantaine d'années en France a construit une longue carrière, couronnée de prix et de films intéressants, notamment Une femme pour mon fils, ou encore l'Autre France et Mektoub. Dans cet entretien, il évoque son dernier film Chacun sa vie, ainsi que le prochain intitulé les Alliances, tout en parlant de la crise du cinéma et de la culture en Algérie. Liberté : Votre film, Chacun sa vie, sortira très prochainement en Algérie. Pouvez-vous nous en parler, même brièvement ? Ali Ghanem : En fait, c'est l'histoire d'un Algérien qui vit depuis une quarantaine d'années en France, et lorsqu'il atteint l'âge de la retraite, il décide de retourner au pays, mais ses enfants refusent de le suivre, se disant français. C'est un sujet qui est d'une grande réalité, parce que les Algériens de France considèrent l'Algérie comme un lieu de vacances ; et d'ailleurs, ils ne disent même pas l'Algérie, ils disent le Bled. Donc, cet homme a rêvé toute sa vie de retourner en Algérie, mais à la fin, il se retrouve seul. De plus, l'itinéraire de ce personnage sort un peu de l'ordinaire car je l'ai filmé à l'âge de la retraite, mais également et c'est ce qui donne une certaine qualité au film, à l'âge de 35 ans et ce, en prenant des extraits d'un autre film que j'avais fait avec lui et qui s'intitule l'Autre France. Ce film est coproduit par la Télévision algérienne, le ministère de la Culture, Sonatrach, Mobilis et l'Onda. Chacun sa vie sera bientôt diffusé à la télévision algérienne, mais quelques extraits seront censurés, parce qu'on ne peut pas tout montrer ici… Il y a la censure, l'autocensure et les tabous à telle enseigne que je me demande pourquoi on fait des films en Algérie. Mais le cinéma n'est-il pas – tout comme tout autre art – libre par essence ? Le cinéma est plus qu'un art, il est devenu un moyen politique. Pour faire un bon film, il y a, certes, la qualité technique, la direction d'acteurs, mais surtout un bon scénario. Si l'histoire n'est pas crédible, le film sera automatiquement mauvais. Mais pour faire une histoire crédible, on doit avoir un esprit critique... Pas critiquer pour critiquer, mais élaborer une réflexion constructive. Je rajouterai que les plus belles années du cinéma mondial ç'a été les années 1970/80 avec le cinéma africain, polonais, tchèque, italien, brésilien et certains films arabes ; c'étaient des films à petits budgets mais libres et qui traitaient de sujets de grande importance. Actuellement, on parle de renaissance de cinéma algérien. Qu'en pensez-vous ? Pour moi, en Algérie, on fait des films par accident. De temps en temps, il y a les festivals, il y a les semaines culturelles, mais ce sont des films qui ne vont pas plus loin parce qu'ils ne sont pas projetés et qu'il n'y a pas assez de salles de cinéma (à Constantine par exemple, il n'y a pas une seule salle de cinéma). Par exemple, Mascarades de Lyes Salem (qui a eu plusieurs prix), sera-t-il vu et distribué dans toute l'Algérie ? Je pense qu'il faut que le cinéma devienne un moyen populaire comme dans les années 1970/80, car le drame pour un pays qui n'a pas de vie culturelle, est qu'il perd son âme. Or, on a négligé la culture de manière totale en Algérie. Après on vient et on scande : le cinéma algérien a gagné, et le cinéma algérien triomphe, mais on ne voit pas les films. Si on fait les films pour les festivals et l'élite, ça ne sert à rien. Donc, ce n'est pas un problème d'argent mais de choix culturels ? Je crois que le problème de la culture est entre les mains des présidents. On doit accorder à la culture la même importance qu'on accorde à l'économie. Celle-ci prend le dessus, mais l'économie ne peut fonctionner sans que les gens soient bien dans leur peau. Quand on travaille 8 heures par jour, il faut s'éclater, il faut être bien dans sa peau… Il faut des loisirs. L'homme a besoin de nourriture culturelle quotidienne, sinon il ne peut ni travailler ni diriger. Je pense que le but est d'arriver à parler sans tabous dans le cadre la liberté qui nous est donnée. Embrasser une femme en Algérie, c'est tabou, mais on ne voit que les paraboles en Algérie. On nous pousse à ignorer notre culture. On nous confronte dans une certaine hypocrisie. Ne pensez-vous pas que c'est également un problème de rapport à l'image ? Sans doute. Eliminer la censure et l'autocensure pour faire un film universel. Le cinéma évolue par rapport à la société et à l'actualité. Vous êtes actuellement en phase de repérages pour votre prochain film qui s'intitulera les Alliances. Où en êtes-vous de ce projet ? C'est une histoire d'amitié entre deux femmes : une Algérienne et une Belge ; mais c'est également une histoire d'amitié entre la France, la Belgique et l'Algérie. Ça se passe entre Paris, Bruxelles, Bougie et Tichy. Pour les acteurs, ça dépendra du budget mais je souhaiterai avoir Lyes Salem et Sofia Essaïdi (qui joue actuellement dans la comédie musicale Cléopâtre). Bien sûr, le film est une coproduction entre les trois pays. S. K.