Ali Ghanem vit en France depuis plus de quarante ans. Il a travaillé dans les chantiers, à l'usine, à la chaîne, il a été conférencier. Puis, il est devenu écrivain et cinéaste. La success story d'un émigré. Vous revenez avec une actualité, le tournage d'un nouveau film Chacun sa vie, toujours avec cette image « immigrante »... C'est l'histoire d'une famille algérienne dont le père vit en France depuis une quarantaine d'années. Son rêve de toujours, c'est le retour en Algérie. Ses trois enfants sont intégrés dans la société française. Il exerce un emploi dans une morgue d'où il rapatrie les dépouilles mortelles de Maghrébins en leur pays. Il arrive à la retraite et a construit une maison en Algérie. Un beau jour, il dit à ses enfants : « Je vais peut-être prendre ma retraite, la France n'est plus ce qu'elle était. Nous allons rentrer au pays (L'Algérie) ». Du coup, c'est le drame qui survient. La mère et ses enfants refusent de retourner en Algérie. Où en est le tournage de Chacun sa vie ? C'est un film coproduit avec la télévision algérienne (ENTV). J'ai monté une société de droit français. J'ai déjà tourné 75 minutes du film. Il me reste une demi-heure à tourner, certainement, dans la région de Jijel ou d'Alger, et ce, pour des raisons économiques. C'est une nouvelle approche cinématographique à propos de l'émigration en France après vos films Mektoub ou L'Autre France portant sur les bidonvilles, le racisme, les problèmes sociaux... Oui, absolument. Comme je suis en France depuis 42 ans, je connais bien le problème. Cette fois-ci, je prends une famille (algérienne) ordinaire. Le « beauf » français. C'est-à-dire une famille traditionnelle algérienne. Donc, il n'y a pas de racisme, de ghetto, de misère... Une famille intégrée... Oui, parfaitement intégrée. C'est-à-dire qu'elle vit dans la société française. Ce problème de retour au pays d'origine se pose particulièrement pour les Musulmans maghrébins et africains. Par exemple, les émigrés espagnols, italiens ou portugais n'ont pas ce problème. Le mythe du Maghrébin du « bureau de main-d'œuvre et du foyer Sonacotra » est révolu... Jusque-là, l'image du Maghrébin était celle de l'ouvrier dans un chantier, il travaillait à la chaîne, dans un restaurant. Le mythe du « balayeur de rue » est parti. Bon, le Maghrébin, particulièrement l'Algérien, a maintenant un métier, d'artisan, créateur d'emplois... Le choix du Maghrébin travaillant à la morgue n'est pas fortuit... J'ai choisi cette fois un personnage qui travaille à la morgue pour le symbole de l'Islam et de la sagesse. Il lave les corps et les rapatrie dans leur pays d'origine. Mais avec un regard noir... Parce que c'est une réalité. Le film relate un drame. Rachid, ce père, travaillant à la morgue s'est vu laver et rapatrier ses propres amis ayant vécu comme lui en France depuis 40 ans. C'est pour cela que j'en parle avec noirceur. Quand on a tourné la scène de rapatriement des dépouilles mortelles à l'aéroport d'Orly (Paris), on a été au dépôt mortuaire. Alors, on a trouvé des centaines de cercueils à destination du Maghreb, d'Afrique, de Turquie, d'Allemagne ou encore d'Amérique latine. Et ils sont installés dans la soute à bagages. C'est pour cela que j'en parle encore une fois, avec noirceur. Parce que c'est quelque chose qui est horrible. Il n'y a pas de cérémonie. Elle ne se fait qu'à la morgue officiée par un imam. Sinon, il n'y a rien. Ces Maghrébins vivent cet exil même dans leur mort... Oui, absolument ! C'est-à-dire que le personnage du père est devant un dilemme. Sa femme et ses enfants refusent de le suivre en Algérie. Et en plus, il perd son meilleur ami. Donc, il demeure seul. De toute façon, qu'est-ce qui se passe pour les Maghrébins en général ? Les gens qui sont à la retraite, sauf certains intellectuels ou hommes d'affaires, végètent sur les bancs des squares, devant l'entrée des bouches de métro, font la sieste et regardent la télévision. Cela, c'est pour les Maghrébins vivant dans des familles. Les autres finissent dans des foyers. Et ce qui est horrible, c'est que ces retraités restent en France pour se soigner, car malade et avançant dans l'âge. Et selon eux, on soigne mal en Algérie. Donc, ils vivent dans les foyers dans la solitude et l'exil. Et puis le conflit des générations... Les jeunes maghrébins ont choisi un mode vie en France. Pour nommer le pays d'origine, ils disent le bled. Et les Africains disent la brousse. Comment vous est née cette passion pour le cinéma ? Je suis parti en France, à l'âge de 19 ans. J'avais toujours eu envie d'apprendre le métier de cinéaste comme je n'ai pas fait d'études. Pour moi, le cinéma, c'était toujours de la magie. J'ai effectué toute sorte de travaux. J'ai travaillé dans les chantiers, dans les usines... Donc, j'ai fait des films qui ont un rapport avec le monde ouvrier. J'étais de gauche, j'ai milité, j'ai animé des conférence dans des maisons de jeunes et des animations culturelles. Car je ne gagnais pas ma vie en faisant du cinéma. C'est en écrivant des romans. Justement... En tant que romancier j'ai gagné de l'argent avec le roman Une femme pour mon fils. Parce que c'est un roman qui a été traduit en sept langues et dont le tirage était de l'ordre de 50 000 exemplaires. Puis, j'ai écrit Le serpent à sept têtes, une commande des éditions Flammarion. Un roman français traduit aux Etats-Unis.