Le choix d'une figure révolutionnaire respectée pour diriger la campagne du Président sortant, dans cette wilaya, qui a bénéficié d'enveloppes conséquentes au cours des deux premiers mandats, lui permettra de ratisser large. Loin d'être entrée de plain-pied dans la prochaine élection présidentielle, Khenchela est à peine saisie, fin février, d'un timide frémissement électoral. Cette région chargée d'histoire s'est retranchée dans une position de wait and see dans l'attente, peut-être, de quelques nouveaux développements sur la scène politique nationale et locale pour sortir de son expectative. Point découragés, les partis de l'Alliance présidentielle et les responsables de la permanence du candidat indépendant, Abdelaziz Bouteflika, essaient comme ils peuvent de secouer le cocotier khencheli. C'est que le rouleau compresseur de la pauvreté est passé par là. Comme c'est le cas à travers tout le pays, le marasme social a eu raison de l'intérêt des citoyens à la politique. Gagnés par la paupérisation, des pans entiers de la population de Khenchela ne sont préoccupés que par le souci de gagner le pain des enfants. Mais il n'est pas dit que, à mesure que la date du rendez-vous électoral se rapproche, la tendance ne serait pas renversée. Et pour cause, la wilaya de Khenchela, à dominante rurale, n'a pas la réputation de cultiver de l'aversion pour les urnes. Loin s'en faut. Lors de tous les scrutins qui étaient organisés, par le passé, en Algérie, Khenchela a été toujours aux premières loges des wilayas où l'on vote le plus. Lors de l'élection présidentielle d'avril 2004, une participation appréciable de 66% a été enregistrée à Khenchela. La charte pour la paix et la réconciliation nationale a été plébiscitée avec 96% des suffrages. C'est dire que la cause n'est pas tout à fait perdue pour les partisans des différents prétendants à la magistrature suprême. C'est, du moins, ce que soutiennent quelques Khenchelis engagés, il est vrai, aux côtés des candidats. Un optimisme que ne partagent pas certains cadres politiques qui ne se recrutent pas dans les seuls rangs des partis d'opposition. La participation, une tradition électorale qui risque d'être démentie ? Des cadres du RND, mécontents du wali tout en soutenant Bouteflika, crient à qui veut les entendre que le taux de participation sera des plus réduits. “Les gens ne sont pas intéressés par les élections. D'après ce que j'ai constaté sur le terrain, le taux de participation ne dépassera pas les 30%”, assure l'un d'eux. “Le problème c'est que le citoyen a perdu confiance en l'Etat. Aussi, il n'ira pas voter”, ajoute un autre. Un discours qui recoupe celui développé par le responsable local du RCD, M. Taos, qui, lui aussi, assure que “les gens ne sont pas convaincus par les élections”. “Le problème est national, les Algériens ne croient plus au système”, explique-t-il avant d'ajouter : “Nous concernant, nous allons boycotter cette élection.” Pour illustrer le désintérêt des citoyens à l'égard de l'élection présidentielle, M. Taos raconte une anecdote : “Des partisans de Bouteflika sont allés à Ouled Rechache pour faire campagne en faveur de leur candidat. À un moment, on a demandé à des citoyens pour quel candidat comptent-ils donner leurs faveurs. Ils leur ont répondu qu'ils voteront pour… Chadli Bendjedid !” Partisan de Ali Benflis en 2004, Benzaïm Nordine, président de l'antenne locale de l'académie de la société civile dont le président d'honneur n'est autre que Abdelaziz Bouteflika, estime qu'il y a grand risque que “la participation à la prochaine élection présidentielle soit modeste”. Il ne met pas en cause le président Abdelaziz Bouteflika dont il est devenu un fervent supporteur. Non. Les principaux responsables de la probable bouderie des urnes par les citoyens khenchelis seront, aux yeux de M. Benzaïm, les formations politiques. “Si le jour J il n'y a pas un engouement, la faute incombera à la classe politique, c'est-à-dire les partis qui n'auront pas su mobiliser et sensibiliser les citoyens. En plus, la majorité des élus, que ce soit au niveau national ou local, ont tourné le dos aux préoccupations des citoyens. Sans parler du fossé qui s'est élargi entre les citoyens et certaines institutions”, explique-t-il. Et tous ses espoirs, ils les fondent sur cet ovni politique qu'est l'académie de la société civile pour travailler à une large mobilisation citoyenne, loin des “dissensions politiciennes”. Cadre du Parti des travailleurs et membre à l'APW, Fayçal Boudraâ, croit, lui, qu'“il y aura participation”. Il tire sa conviction du grand nombre de jeunes et de femmes qui assaillent le siège de son parti. La même conviction est partagée par Bouziane Mokhtar, élu RND à l'APW et membre de la permanence de Bouteflika qui assure : “Nous nous attendons à un grand taux de participation. Khenchela a ses particularités. C'est une wilaya de moudjahidine qui a toujours fait acte de présence quand l'Algérie a besoin d'elle.” Le wali de Khenchela, lui même, s'il se défend de s'immiscer dans le jeu politique, estime que le taux de participation sera des plus importants. Pourquoi ? “L'opération de la révision des listes électorales a connu un grand engouement de la part des citoyens. Plus de 28 000 Khenchelis se sont présentés pour l'inscription à la radiation. Et dans notre travail de sensibilisation, on a touché plus de 50% du parc logement. Avec de tels paramètres, je suis fondé à dire que le taux de participation sera très intéressant. En plus, Khenchela est une wilaya rurale qui n'a pas une tradition d'abstention”, explique M. Baliouze. Les Ayans roulent pour le candidat Bouteflika Et qu'en est-il de la donne tribale ? S'invitera-t-elle à la présidentielle ? Il est de notoriété publique que Khenchela est sous l'influence de deux grandes tribus : d'une part, les Nememchas, majoritaires en termes de nombre d'habitants, qui occupent la partie est et sud de la wilaya. Et, d'autre part, les Amamras qui, disséminés sur la partie ouest et nord de Khenchela, ont un grand poids dans l'équation politique locale, du fait qu'ils détiennent les rênes de l'administration. Entre les deux grandes forces, il y a les autres groupes sociologiques, venus des autres régions du pays qui ont élu domicile dans l'ancienne ville essentiellement, mais qui ne pèsent pas beaucoup dans la balance. “Ici, tout le monde, même les autres (les Amamras), est avec Bouteflika”, assure Bouhellal Bouteba, ancien moudjahid et membre du Conseil des tribus des Nememchas, rencontré à son domicile à Tazeguaght. “On ne s'est pas encore rencontré mais certains membres se sont vus entre eux et ont décidé de miser sur l'actuel président. On est satisfait de cette décision. De toutes les façons, les autres candidats ne pèsent rien.” Mais M. Bouteba n'a pas caché son mécontentement à cause du délaissement dont est victime sa commune. Mais les Ayans gardent-ils intacte leur influence ? “Oui. On se rencontre et chacun donne son point de vue. Une fois le consensus trouvé autour d'une décision, c'est alors tout le monde qui s'y plie”, répond cet ancien compagnon de Tahar Zebiri. Le même point de vue est partagé par M. Arous, premier responsable de l'UGTA à Khenchela et membre du conseil des tribus. “Nous sommes tous pour Bouteflika. Ici, il n'y a pas d'hypocrisie politique. Quand on est avec quelqu'un, on va jusqu'au bout”, soutient-il. Mais certains ne l'entendent pas de cette oreille. Pour Nordine Benzaïm du FLN, les Ayans n'ont plus aucune crédibilité. “Le fait qu'ils aient bénéficié de beaucoup de privilèges et de rentes les a énormément discrédités aux yeux des citoyens. Le meilleur service qu'ils puissent rendre à notre région est de rester chez eux. De plus, l'élection présidentielle n'est pas comme une élection locale, où chacun mise sur un cheval pour sauvegarder ses intérêts”, explique-t-il. Et Mourad Taos du RCD d'appuyer : “Les anciens notables n'existent plus aujourd'hui. D'autres, avec la bénédiction et l'aide de l'administration, ont pris leur place. Je suis sûr que personne ne les suivra. La preuve est que, lors des dernières élections locales (APW), ces notables ont soutenu le FLN. Il n'a obtenu que 12 sièges sur les 36 que compte la wilaya alors que par le passé, il remportait jusqu'à 24 sièges.” Discrédités ou pas, les Ayans, eux, ont pris leur décision : ils rouleront pour le candidat Bouteflika. Contrairement à 2004, où ils étaient assis entre deux chaises mais en prenant, toutefois, le parti du fils de la région (Ali Benflis, bien sûr). Cette fois-ci, le choix est des plus aisés, surtout qu'il n'y a personne en face. “Il n'y a que Bouteflika. Pour qui voulez-vous que je vote ?” s'interroge le jeune fils de Bouteba. “C'est un match forfait”, plaisante un militant du HMS et élu à l'APW avant d'ajouter, toujours sur un ton badin : “à Khenchela, tu risques de passer pour un harki si tu n'es pas avec Bouteflika.” Le beau jeu des partisans de Bouteflika Aussi, les partisans du candidat indépendant Abdelaziz Bouteflika jouent pratiquement sur du velours. Surtout que sa direction de campagne est confiée à un homme très respecté dans la région : Mohamed Tahar Rezzaïmia. Cet ancien moudjahid est perçu ici comme un symbole de la Révolution. À lui seul, il peut entraîner derrière bien des masses dans les isoloirs. En tout cas, son poulain, M. Bouziane Mokhtar, ne tarit pas d'éloges à son égard. Premières prémices de la victoire future ? La belle moisson des 70 000 signatures récoltées lors de la campagne de souscriptions pour les candidatures par la permanence en faveur de l'actuel locataire du palais d'El-Mouradia alors que le corps électoral est constitué de 200 000 électeurs. Autour du directeur de la permanence, il y a les partis de l'alliance, les organisation de masse (ONM, UGTA, UNPA…) et les associations ainsi que des cadres de la wilaya. Une antenne de la permanence est installée dans chaque commune. En un mot, la wilaya est pratiquement quadrillée. Pour ce qui est de la campagne électorale, elle sera surtout axée sur les programmes de développement décrochés par la wilaya durant les deux mandats de Bouteflika. “Il nous a beaucoup aidés en matière de développement. En 10 ans notre ville a complètement changé”, s'est enorgueilli M. Bouziane. Le Dr Bekhouche, recteur de l'université de Khenchela et président FLN de l'APW, n'en pense pas moins. “Le boom économique connu par notre région est survenu grâce à cet homme. En 10 ans, il a donné à Khenchela plus de 140 000 milliards de centimes. Avant 1999, Khenchela était complètement en marge de la dynamique du développement national. Le déclic est survenu avec l'arrivée de Bouteflika au pouvoir”, soutient-il. Les partisans des concurrents de Bouteflika au creux de la vague L'espace étant tout occupé par les supporteurs de Bouteflika, les partisans de Louisa Hanoune ont du mal à se faire entendre, même s'ils essaient de se donner bonne contenance et faire bon cœur contre mauvaise fortune. La pasionaria du PT peut-elle vraiment créer la surprise à Khenchela ? “Si nous n'avions pas de chance, notre candidate ne se serait pas présentée”, répond M. Mekhalfa M'barek, responsable régional du PT et élu à l'APW. Et d'enchaîner : “Notre souhait est que les élections se tiennent dans la transparence. Notre vœu aussi est que tous les représentants des candidats soient présents à la commission de wilaya et des communes pour mieux superviser et contrôler les élections du début jusqu'à la fin de l'opération.” Son collègue à l'APW, Fayçal Boudraâ, renchérit : “Nous avons des élus à travers 21 communes, sans parler de l'APW, et ils sont tous mobilisés pour gagner les suffrages de nos citoyens en faveur de notre candidate. Chaque jour, nous tenons des réunions et notre siège est tout le temps assailli par les jeunes et les femmes.” Quant au parti de Moussa Touati, tel un bateau qui coule, il prend eau de toutes parts. Beaucoup de ses élus mais aussi de ses maires le quittent pour rejoindre avec armes et bagages le FLN. D'aucuns ont pointé un doigt accusateur vers l'administration qui serait à l'origine de la bonne affaire du parti de Belkhadem. Vrai ou faux, le parti de Moussa Touati fait ainsi les frais de sa stratégie d'ouverture tous azimuts adoptée lors des dernières élections locales. Moralité : on ne construit pas sur du sable. La jeune formation de Moussa Touati l'a vérifié à ses dépens. A. C.