C'est l'Etat algérien qui annonce solennellement qu'une “feuille de route”, préambule à la signature d'un pacte… de paix, a été signée entre deux communautés algériennes. Cela ne vous rappelle rien, la feuille de route en vue d'un accord de paix ? Il ne manque que le “quartette” pour la superviser ! Et c'est l'Etat qui réunit les conditions pour donner autorité à ce pacte en convoquant la presse, en en assurant la publicité à une cérémonie de signature organisée en présence du wali, représentant régional de la République, et d'un ministre. Ainsi, deux communautés d'Algérie, l'une malékite, nous dit-on, et l'autre ibadite, étaient en conflit et s'apprêtent à quitter le sentier de la guerre par la voie d'une feuille de route ! Les lois de la République ne suffisent plus au maintien de l'ordre partout dans l'Algérie “une et indivisible”. La Constitution, qui seule organise la hiérarchie des textes juridiques, a prévu le primat des pactes et accords internationaux, mais n'intègre pas le cas des traités intercommunautaires entre entités socioculturelles. Quel texte appliquera le juge à la prochaine rixe entre un ibadite et un malékite : le code pénal ou l'accord de Berriane ? Dans ces aventureuses opérations “pacificatrices”, le pouvoir n'en est pas à son coup d'essai. On se rappelle un étonnant accord entre deux tribus dans la région de Djelfa et Laghouat, conclu… à la frontière des deux wilayas sous l'égide des deux walis ! Que la société organise les moyens de maîtriser les tensions qui menacent sa cohésion est dans l'ordre des choses ; c'est même souhaitable pour contenir la fréquente tentation totalitaire des pouvoirs. Mais si “la paix” entre les Béni X et les Ouled Y ou entre telle et telle obédience doctrinale devait donner lieu à des négociations parrainées par la République, que restera-t-il à faire à celle-ci et que lui restera-t-il donc de légitimité ? Les pulsions héritées du passé tribal de la société guident encore le comportement dans la “république” algérienne, surtout parmi ses dirigeants. La famille, la tribu, la zaouïa, la région et l'obédience confessionnelle seules sont considérées, au détriment de la personne autonome. Noyé dans ces entités, l'individu n'a pas d'existence autonome. Cette vision, du fait qu'elle nie l'individu-citoyen, facilite la mise en œuvre d'une approche clientéliste des relations entre la société et le pouvoir : celui-ci traite, par-dessus le citoyen, avec ses représentations pseudo-modernes, comme l'artiste du coin ou le dirigeant du club sportif local, ou archaïques, comme le chef de zaouïa ou le notable de la tribu. Dans cette démarche contre-historique, le pouvoir s'arroge le droit de céder des prérogatives de l'Etat, par stratégie politicienne. Il croit tirer sa légitimité de ce rôle d'arbitre condescendant et extra-social. Par ailleurs, cette image de belligérants en tenue traditionnelle se réconciliant sous les auspices d'une tutelle en costume renvoie désagréablement aux icones de l'ère coloniale. Par cette pratique, le pouvoir est en train de renvoyer cette société à ses avatars les plus négatifs, et de réveiller dangereusement ses plus vieux démons. M. H.