Rencontré lors de la dernière édition du Fespaco où il a remporté le prix du meilleur scénario, le réalisateur franco-guinéen, Mama Keita, revient sur son troisième long métrage, L'Absence, sur le cinéma africain et sur son éventuelle participation au Panaf 2009. Il sera également membre du jury du prochain Taghit d'Or du court métrage. Liberté : Dans votre film, L'Absence, projeté lors de la dernière édition du Fespaco, la violence est omniprésente. Une violence avec des degrés et surtout des nuances. Pourquoi ? Mama Keïta : Parce que les mots manquent. Dans l'histoire en question, les mots manquent, d'autant plus que la sœur est muette. Les mots manquent parce que ce frère met une barrière invisible mais infranchissable entre eux. Dans l'histoire que je raconte, c'est le manque de communicabilité et puis l'immaturité de ce héros qui est resté bloqué dans sa douleur d'enfance, d'avoir perdu sa mère. Tout technicien qu'il est, il est encore enfermé dans cette douleur d'enfance ; ce qui prouve bien que l'intelligence scolaire acquise à l'école ne diminue rien ni de la bestialité ni de la sensibilité. En tant que cinéaste, comment voyez-vous la place actuelle et l'avenir du cinéma africain ? Je pense que c'est le cinéma de demain. Pour une raison toute simple, ce n'est pas par prétention que je vous le dis ou pour me gargariser, on connaît toutes les cinématographies (américaine, occidentale, asiatique, sud-américaine…), et le seul cinéma que l'on connaît peu ou pas est le cinéma africain. Il est à découvrir. Il a fallu combien de films pour que le cinéma français s'installe dans le paysage. Il y a 200 longs métrages par an en France, alors que dans l'Afrique subsaharienne francophone, il y a entre 6 et 10 films maximum par an. Même le Maroc en produit beaucoup plus par an car celui-ci a une vraie politique cinématographique. Ils sont autosuffisants : un film marocain pourrait se faire totalement avec de l'argent marocain, des techniciens marocains, un laboratoire marocain, etc. Alors que nous, nous n'en sommes pas là, nous regardons ça avec envie. Je rends hommage au directeur de la cinématographie marocaine qui a développé la coproduction Sud-Sud, sans laquelle mon film n'aurait pas été visible, et on est nombreux dans ce cas-là. Le tête-à-tête obsessionnel et traumatisant avec le financement français nous permet de faire quelques films, certes, mais il est temps qu'on dépasse ce tête-à-tête. Ce qui obligera les cinéastes à aller vers des partenariats avec des producteurs indépendants d'autres pays. Il y a l'Espagne qui arrive et qui veut développer ce créneau. Avoir un seul interlocuteur, c'est toujours très mauvais pour la santé mentale. Alger 1969, Alger 2009, la deuxième édition du Festival panafricain… Une absence de 40 ans, et lorsqu'on regarde l'état de notre cinématographie, cette absence pèse lourd, comme l'absence du tourisme dans des pays de l'Afrique subsaharienne francophone qui n'ont jamais investi dans la culture. C'est déplorable et criminel. Donc, Alger 2009, après 40 ans d'absence : bravo ! Bravo de revenir sur la scène internationale ! Je ne peux que saluer la démarche de la délégation algérienne venue nous apprendre qu'ils vont se lancer dans une coproduction de 4 longs métrages et de 4 autres courts métrages, c'est bien insuffisant évidemment, mais imaginez si chaque pays d'Afrique, à l'exemple de l'Algérie, en faisait autant, ce serait une très belle amorce dans le renouveau du cinéma d'Afrique. Nous avons appris qu'il y avait de fortes chances de vous compter parmi les membres du jury au prochain Taghit d'Or du court métrage… Effectivement, on m'a fait cette proposition et ce sera avec un immense plaisir. Tout mon art consiste à raconter des histoires, raconter les autres. Donc, toute invitation qui m'est faite, d'une manière fraternelle, me touche énormément.