«Que le Panaf 2009 soit un lieu de rencontre, de prise de conscience et d'art», dira le réalisateur. Présent au Fespaco avec un film en compétition intitulé L'Absence, Mama Keita est un cinéaste «nomade» né à Dakar, d'un père guinéen et d'une mère vietnamienne. Il évoque ici son parcours, refuse l'idée de cinéma africain en préférant celle de cinéaste d'origine africaine et enfin parle de sa participation en Algérie, au Panaf de 2009. Il débute sa carrière de réalisateur en 1981 et tourne 5 cours métrages puis en 1990 Ragazzi et Le 11e commandement en 1997. En 1998, il réalise le documentaire David Achkar, une étoile filante, un hommage à son ami réalisateur mêlant archives, textes et photos. Son dernier film Le fleuve, est né d'un projet originel de David Achkar.En 1998, David Achkar qui s'apprêtait à tourner Le Fleuve, meurt d'une leucémie. Mama Keita fait promettre à son ami, de faire ce film à sa place. Le cinéaste qui ne connaît pas l'Afrique de l'intérieur doit s'approprier le film de David Achkar et en faire sien. Il entame alors un voyage initiatique de Dakar à Conakry. Le Fleuve, son long métrage réalisé en 2002, reçoit le Prix de la presse au Festival du film de Paris, 2003.Il signe Le Sourire du Serpent, réalisé en 2006, en compétition au Fespaco 2007. En 2009, il sort L'Absence, sélectionné au Festival de Rotterdam (Hollande) et aussi au Burkina Faso. L'Expression: Votre film L'Absence qu'on a vu hier, est différent de ce qu'on a vu jusqu'à présent. Il est truffé de scènes de violence. Le film a été qualifié de «choquant» par certains. Qu'en pensez-vous? Mama Keita: Ce que j'ai compris dans le film, non pas ce que je voulais dire, est que je voulais faire le portrait d'un homme plongé dans la question du deuil inassouvi. Son retour précipité va faire resurgir un drame intime. C'est de cela que je voulais parler...Maintenant, il y a beaucoup d'images violentes peut-être mais le monde est violent. Si les gens ont trouvé mon film choquant c'est qu'ils n'ont pas observé le monde. Le monde est terriblement violent. Moi, je parle de violence émotionnelle. Cette violence physique, quand il frappe sa soeur, est sans commune mesure par rapport à cette violence dans laquelle il l'enferme. Cette culpabilité qu'il met en elle à la mort de leur mère. C'est étonnant que le public ait été frappé par cette scène où il violente sa soeur mais elle, la violence qu'elle éprouve, c'est celle de ce frère qu'elle aime par-dessus tout et qui l'ignore. Je dirais même que quand il la frappe, c'est terrible! elle devient presque un sujet conscient à ses yeux. Il y a la violence physique, mais aussi sociale, la misère dans les bas-fonds du Sénégal, la pauvreté. Mais vous abordez aussi la politique de l'émigration à travers ce jeune garçon qui part faire des études à l'étranger... Dans mon environnement, j'ai côtoyé beaucoup de gens venus faire leurs études en Occident et qui ne sont jamais repartis. J'ai toujours été confronté à leur malaise, à leur douleur. Dans ce que j'ai à dire, c'est quelque chose qui m'interroge. Il y a quelques communautés entre moi et ce personnage-là, bien que ne je sois pas parti en Occident pour acquérir le savoir, il y a tout de moi. Adama c'est moi, la soeur qui se prostitue, c'est moi aussi, tous les personnages c'est moi. J'y ai mis des choses de moi, y compris chez ce professeur. C'est le hasard de mon histoire familiale qui a fait que mon père est né dans l'Afrique francophone. Du temps des colonies, il s'est engagé dans l'armée, il a fait la guerre pour la France, il est parti en Indochine pour faire la guerre et il a rencontré ma mère. Ils sont venus vivre en France après. Je suis né à Dakar lors d'une désaffectation de mon père, toujours dans ce hasard de son engagement dans l'armée, qui a dominé en fait notre vie familiale. J'ai remarqué que beaucoup de ces personnes au parcours éclaté et hétéroclite, finissent par être cinéastes, un peu citoyens du monde ou se cherchent-ils par l'image à travers l'autre... Oui, c'est très particulier, il n' y a pas encore d'étude faite autour de ça. Mais il serait intéressant de la faire et se rendre compte que la plupart des cinéastes sont nomades. Ils vivent hors d'Afrique et beaucoup d'entre eux, comme moi, reviennent vers l'Afrique. Oui, c'est un peu comme dans le film, cela explique le problème des élites. En tout cas, ce thème-là est récurent et les cinéastes sont agités par cette question. Lorsqu'ils ne sont pas métis, culturellement, ils le sont biologiquement. C'est l'une des particularités de ce cinéma-là. Il s'agit de la recherche d'eux-mêmes avec ce retour. Il y a plein de gens comme ça de Zeka Laplaine à Abderrahmane Sisoko. C'est, en effet, très étrange, une cinématographie essentiellement d'enfants qui sont partis et qui ne vivent pas en Afrique. Le qualificatif de cinéma africain est quelque chose qui me perturbe, c'est une appellation contrôlée. C'est quand même le produit d'un mode de financement qui vient de la France dans cette puissance coloniale, qui a tout regroupé pèle-mêle dans l'intitulé «cinéma africain», sans distinction des origines ethniques ou de leur appartenance culturelle. Nous sommes des individus différents avec des cultures et sensibilités différentes. Mon cinéma et celui de Souleimane Sissé, il n'y a aucun point commun. Je dirais qu'il y a autant de différences entre le cinéma d'Almodovar et celui de Sissé. Il y a plutôt des cinéastes d'origine africaine qui font des films. Le point commun c'est l'origine du financement. C'est le seul cinéma qui n'est pas autofinancé. Ils ont tous en commun un financement extérieur, principalement à travers un fonds qui n'existe plus, celui d'Image Afrique, et le Fonds Sud ainsi, qu'un Fonds européen qui, après 4 ans, d'interruption vient de redémarrer. Il est tellement complexe et tellement surréaliste à actionner que les cinéastes ne le sollicitent pas. Il y a aussi celui de la francophonie. L'autre jour, le ministre de la Coopération est venu et ça dénote complètement de l'esprit dans lequel on se situe, postcolonial: mais toujours colonial. Il est venu nous apprendre une grande nouvelle. La France dans sa grande magnanimité, va mettre à la disposition du cinéma africain un fonds d'aide de dix millions d'euros pour 5 ans. Pour quiconque a été à l'école de Jules Ferry, 10 divisé par 5, cela fait deux millions d'euros pour toute l'Afrique, c'est en deçà de la moyenne d'un seul film français qui se situe entre 4 et 6 millions. Ce qu'on puise de l'exploitation de l'Afrique depuis l'esclavage jusqu'aux sociétés modernes comme Bouigue ou Elf Aquitaine, au total c'est une plaisanterie, je dirais même que c'est insultant, même humiliant, Notre très grande difficulté dans notre cinéma est cette dépendance de ce financement et c'est la démission totale de nos Etats, à tous les niveaux. Ils ne sont spécialistes que dans la corruption. Je crois savoir que vous avez fait votre film avec un petit budget... Oui, j'ai commencé mon film avec 113.000 euros et pour l'instant il y a 215.000 de dépensés, la société est endettée, lorsqu'on aura payé les dettes, le budget du film sera de 300 000 euros. Vous voyez à quelle économie de disette on se situe et dans quelle fragilité on expose nos films. C'est-à-dire on fait avec rien du tout... Un mot sur le Fespaco... Ce que je déplore, c'est que le film, le cinéaste et le cinéma ne soient pas au centre des préoccupations. C'est tout sauf un festival, je suis désolé. C'est scandaleux, la manière dont on traite les films et le public. Ça a la vertu d'exister. C'est un espace de rencontres de tout le continent africain, des Caraïbes, et de la diaspora américaine. On en est à la 21e édition tout de même et ne pas pouvoir organiser une projection dans des conditions respectables et ne pas avoir son billet à temps, c'est honteux! Même les lois de l'hospitalité africaine ne sont pas respectées. Que les journalistes errent toute la journée à interpeller les cinéastes pour savoir l'heure et l'endroit de la projection, et que le catalogue ne soit même pas disponible, ni l'accréditation, que des délégations de pays qui arrivent, ne sont pas accueillies et ne puissent pas accéder à des salles et sont refoulées car sans badge, cela me rend nerveux. Un mot sur votre participation au Festival panafricain que l'Algérie abritera du 5 au 20 juillet 2009. J'ai eu le plaisir immense de voir que le court métrage que j'ai envoyé, même avec du retard, avait été retenu. Il s'appelle Back to Africa. Je reste aussi dans la nostalgie d'avoir vu le film de William Klein sur le Panaf de 1969. Tous ceux qui ont la question panafricaine au coeur, ont cette nostalgie-là. Que l'Algérie ait accueilli jadis tous les révolutionnaires des mouvements de libération, l'intention était noble et forte. C'est un acte politique éminemment grand. Que ce pays-là reprenne le flambeau 40 ans après, c'est magique! Je sais ce que le monde est aujourd'hui. Je sais aussi où en sont les déceptions des mouvements de libération des pays en voie de développement, j'attends que cela soit un lieu de très belles rencontres. Je voudrai signaler que l'idée des quatre coproductions est insuffisante. C'est très bien déjà mais on peut toujours faire mieux. Enfin, j'attends à ce que ce soit un lieu de rencontre, de prise de conscience et d'art, sachant que la plupart des Etats d'Afrique sont dictatoriaux.