Elle a perdu son Nord pour trouver au fond d'elle-même son Sud. Et, depuis, sa vie n'a plus jamais été la même et sa plume a été influencée par ce Sud si lointain et si fantasque. Lui, il a quitté son Orient pour l'Ouest, avec des rêves plein la tête, mais dans ses textes, il est toujours revenu vers cet Orient déserté. Pour le plus grand plaisir des spectateurs du Centre culturel français d'Alger, Nancy Houston et Mohamed Kacimi ont proposé un moment magique à travers des lectures croisées de leurs textes. Un aller simple au pays des mots. Le Centre culturel français d'Alger a offert à son public une union improbable, en recevant dimanche dernier deux prestigieux invités, deux talentueux auteurs, géographiquement aux antipodes, toutefois, en plus de leur amitié qui dure depuis une dizaine d'années, leur littérature est traversée par les mêmes questionnements et les mêmes interrogations. L'écrivaine francophone d'origine canadienne, Nancy Houston, et l'écrivain (également dramaturge) algérien, Mohamed Kacimi, ont lu des extraits de leurs textes, respectivement Nord perdu et l'Orient après l'amour. Cette lecture a également été ponctuée par des lectures de petits poèmes extraits du beau livre intitulé Tu es mon amour depuis tant d'années (titre aussi d'un célèbre poème de René Char), et qui a été illustré par Rachid Koraïchi. Ces petits poèmes ont servi de préambule et d'une présentation indirecte de Nancy Houston, avant de passer aux choses sérieuses. En effet, sans transition aucune et face à un silence assourdissant d'une assistance attentive, Nancy Houston a commencé la lecture d'un extrait de Nord perdu qui est, pour rappel, un livre écrit il y a déjà une dizaine d'années et qui s'articule autour de réflexions sur son Nord perdu, puisqu'elle est d'origine canadienne et vit en France depuis 35 ans. Le premier texte qu'elle a lu traitait de l'exil, un thème qui fait partie des questionnements majeurs de Nancy Houston. Son texte dévoilera les contours de l'exil : les sentiments de censure et de culpabilité, l'accent, l'inscription dans deux cultures et la communication comme un moyen d'aller à la rencontre de l'autre et de ne dévoiler qu'une partie de soi. L'exilé porte toujours un masque qu'il voudrait arracher pour révéler le véritable Moi, le Moi le plus profond. L'écrivaine lira également des extraits de son roman, Une adoration, qui emprunte au polar la manière de construire l'intrigue, mais qui se veut fantaisiste. Nancy Houston a également écrit sur l'Algérie sans jamais fouler son sol. Elle cultive une grande passion pour ce pays et compte beaucoup d'amis algériens, notamment Leïla Sebbar avec qui elle a écrit Lettres parisiennes en 1986, ou encore Mohamed Kacimi qu'elle a connu en 1992 pour les besoins de l'élaboration de l'ouvrage collectif Enfance d'ailleurs (qui a rassemblé 17 écrivains). De son côté, Mohamed Kacimi décrit l'exil, dans un de ses textes, comme étant “une distance”, “un malentendu”, notamment avec sa propre famille et qu'on nomme “choc des cultures”. En fait, il arrive un temps où l'être s'aperçoit qu'il ne partage plus de valeurs avec ceux qui l'ont enfanté. “Vous ne parlez plus leur langue.” Il y a comme un sentiment d'étrangeté et de méconnaissance vis-à-vis des siens. Il dit plus tard : “Choisir à l'âge adulte de quitter son pays, c'est accepter à jamais de vivre dans l'imitation, le faire semblant, le théâtre.” Toutefois, Mohamed Kacimi avoue que l'être humain ne prend conscience de sa culture et n'apprend vraiment à connaître ses propres traits culturels qu'en étant en contact avec d'autres cultures. Il est donc question de confronter les deux cultures. Après des lectures chacun de son côté, Mohamed Kacimi a associé Nancy Houston à sa lecture, pour une nouvelle intitulée Kerkennah après l'amour. Un texte magnifique et bouleversant qui démarre d'une idée toute simple : les souvenirs qui finissent toujours par nous rattraper… Mais comme imperceptibles et surtout insaisissables, les souvenirs ne sont en fait qu'une version améliorée de nos rêves. L'histoire de cette nouvelle est également très intéressante puisque Kerkennah après l'amour a été écrite par Mohamed Kacimi lors d'une résidence d'écrivains en Tunisie. Et pour clore ce moment riche en émotions, Mohamed Kacimi a lu un extrait de l'Orient après l'amour intitulé “Jour tranquille au Caire”. Drôle et touchante à la fois, son histoire a fait sourire, déclenché des fous rires et expliqué l'inexplicable logique du Moyen-Orient. Et une dernière leçon avant de partir : “Dans la vie comme dans la poésie, il ne faut jamais se tromper de mot.” Sara Kharfi