Richard C. est un retraité comme tant d'autres. Soixante ans, en bonne santé. «Papy», comme l'appelle sa petite-fille, l'adorable Magali, six ans. Mamy est là aussi et ils jouissent tous deux d'un repos bien gagné dans la bonne ville de M. Leur plus grande joie à tous deux est de passer quelques jours au bord de la Méditerranée, à gâter la petite, à faire ses quatre volontés. Elle les console de bien des déceptions, de désillusions, des difficultés qu'ils ont rencontrées dans l'éducation de leurs quatre enfants, dont une fille. Adeline, leur fille, est la mère de Magali. Papy et Mamy ont eu bien des contrariétés avec leur unique fille. Son caractère indépendant, fantasque, bohème, est tout à fait à l'opposé des règles morales que Richard s'est imposées pendant toute son existence. Qu'il s'est imposées et qu'il s'est forcé d'imposer à son entourage, épouse et enfants. Ancien militaire, ancien directeur administratif d'un hôpital dans une des plus grandes villes de France, il n'a pas le caractère jovial. Mais Adeline, sa fille, rebelle, vive, primesautière, n'est pas faite dans le même moule que son père. Elle rêve de voyages et même, à seize ans, fait une fugue. Son étoile l'a poussée jusqu'en Asie, où elle s'est frottée à d'autres civilisations, d'autres philosophies, d'autres expériences. Puis Adeline la fantasque est revenue à M. où elle a trouvé un emploi. Adeline rencontre un garçon. Magali voit le jour. Richard est heureux de l'arrivée de cette poupée. Elle devient le centre de ses dernières belles années, le pivot de son univers. Adeline, elle, a du mal à se fixer dans l'existence. Elle est très jolie et ses yeux bleu-vert font des ravages. Elle quitte le père de Magali, un autre homme entre dans sa vie et dans celle de Magali. Par ricochet, il entre aussi dans la vie de Papy Richard. Mais ce dernier compagnon, Marc-Antoine, n'est pas du tout du genre souhaité par Richard. Pied-noir, plein de faconde, extraverti, impulsif, c'est ce qu'on peut appeler un personnage haut en couleur. Il est connu, et même bien au-delà des frontières de l'Hexagone. Il faut dire que son destin n'est pas de tout repos : jugez plutôt. Né sous le signe du Taureau, Marc-Antoine en a tout le physique : trapu et noir de poil. Jusqu'en 1969, sa vie se déroule sous le signe de la plus parfaite banalité. Né à Alger, il s'installe à Paris après son service militaire et il décroche un emploi d'agent de contrôle à la Ratp. Marié et père de deux enfants, il ne peut résister à l'appel du soleil et part pour le Midi, où il devient ambulancier. Un jour fatidique, le 10 août 1969, alors qu'il roule à 150 kilomètres à l'heure, son ambulance heurte une DS qui arrive en sens inverse. Fractures multiples, hémorragie interne, dix greffes osseuses, quatorze opérations le tiennent pour de longues semaines sur un lit d'hôpital. Pire encore, par trois fois, on le déclare cliniquement mort. Par trois fois, l'indestructible Marc-Antoine revient à la vie. Marc-Antoine, Marc pour les intimes, affirme avec beaucoup de conviction que s'il est encore parmi nous, c'est grâce à l'intervention d'extraterrestres, les habitants de la planète Krichta, un satellite de Vénus, par ailleurs inconnue des astronomes diplômés. Les extraterrestres l'ont choisi, lui, parmi des milliards de Terriens, pour être leur messager, chargé d'annoncer leur prochaine arrivée. Et Marc se met à l'?uvre. Il écrit un ouvrage relatant ses contacts intergalactiques. Il donne des séries de conférences qui attirent les foules. A la sortie, le public féminin se presse dans l'espoir d'approcher de près cet envoyé de Krichta. Le chef suprême des Krichtiens, un certain Strobe, ne s'est-il pas incorporé dans l'enveloppe charnelle de Marc ? Marc paye de sa personne sur plusieurs continents : Afrique, Amérique du Sud. Il fonde une association dont il dépose les statuts à la préfecture. Rien ne semble devoir lui résister. Il ouvre un centre de médecine douce. La plaque de cuivre de l'entrée affirme qu'il est praticien diplômé. Le voilà guérisseur, kinésithérapeute, magnétiseur et radiesthésiste. Mais les vrais kinésithérapeutes n'apprécient pas et le font comparaître devant la justice, où il se voit condamner à 15 000 francs d'amende. (à suivre...)