Centre-ville d'Alger à minuit, face à l'Université. Le propriétaire d'un véhicule sort du restaurant, prend place, ainsi que ses compagnons, dans sa voiture. Le jeune “gardien” quitte sa grappe de copains, contourne le véhicule par l'avant et se plante au niveau de la portière du conducteur. Celui-ci entame une marche arrière, première manœuvre pour quitter son créneau, puis baisse la vitre pour déposer la pièce dans la paume du vigile autoproclamé. Trop tard ! Il a déjà pris la mouche. Il tonne un reproche à l'endroit du conducteur qui l'a fait frire en prenant son temps pour le régler : il y a trouvé un manque de considération pour sa fonction. L'automobiliste met pied à terre pour asséner l'explication qu'il pense s'imposer en pareil cas. Puis, un de ses passagers descend de voiture, la bande au surveillant improvisé s'approche et tout ce monde fait foule. Coïncidence, une voiture de police, banalisée et occupée par deux policiers à l'uniforme suggérant la lutte contre le banditisme passe. Et s'arrête. “Vos papiers”, notifie d'emblée l'un des deux représentant de la loi. Pas à l'un des badauds ou au gardien insuffisamment révéré et trop courroucé, mais au chauffeur du véhicule, avec une remarque au passager qui a osé quitter le véhicule pour assister son ami conducteur. De ce comportement officiel, il ressort que la garde sauvage du stationnement donne à ses auteurs un statut d'autorité : le conducteur seul aurait le droit de s'adresser à eux et, comme dans un cas de contrôle de police, le passager n'avait donc pas à intervenir dans une explication entre le chauffeur et le “gardien”. Le réflexe policier qui consiste à contrôler l'automobiliste avant son racketteur implicitement autorisé renseigne sur le statut d'auxiliaire tacitement dévolu par l'administration à cette armée de rançonneurs qui plume par le chantage au vol les automobilistes de la ville. En supposant que la tâche de garde est réellement et efficacement remplie par ces maîtres chanteurs à la petite semaine, et que la complaisance des autorités se justifie par cette espèce de principe d'utilité publique, cela signifierait que l'Etat a accepté de sous-traiter une de ses missions, la sécurité de la voie publique, à une foule — en attendant qu'elle s'organise en réseau — d'adolescents, qui a pris possession de la rue et fixe le tarif de stationnement. À quand le droit de passage pour les piétons ? La situation en est que le parcage sur la voie publique n'est plus sécurisé que moyennant le tribut remis à un de ces guetteurs. Dans certains quartiers, ce sont des bandes qui se partagent le gain de parking au gré de la disponibilité individuelle. En d'autres termes, celui qui passait par-là pouvait réclamer la taxe. Ce système, généralisé et banalisé, jette toute la population véhiculée, y compris les chauffeurs salariés, dans les bras de leurs impitoyables et illégaux percepteurs, avec la bénédiction de l'Etat entier, puisque la pratique est de notoriété publique, voire peut-être encouragée. Il est vrai que les véhicules de service de l'administration en sont dispensés. Cette largesse de nos racketteurs explique l'indifférence des structures chargées de la gestion de la voie publique. La pratique a tout de l'action maffieuse : gain souterrain, rentier et organisé, couvert par le silence des autorités en charge du domaine squatté. La rue échappe à l'Etat, dans bien de ses aspects. Mais là, il y a un véritable cas de délégation d'autorité à des réseaux qui organisent l'impôt sur le stationnement. Et bientôt autre chose sûrement. M. H.