Dans cet entretien, le DG de la Bourse d'Alger situe l'importance du marché secondaire en Algérie, aborde la croissance du compartiment obligataire ainsi que les perspectives de redynamisation du marché boursier du pays. Liberté : Où en sont les activités de la Bourse d'Alger ? Mustapha Ferfera : La Bourse d'Alger en termes d'activité a connu un essor significatif. Elle est passée d'un niveau échanges en termes de valeurs transigées de l'ordre 4 millions de dinars en 2005, à 960 millions de dinars en 2007 puis à 1,2 milliard de dinars en 2008. Ce qui constitue un considérable taux de progression. Ceci est dû principalement au développement du compartiment obligataire qui est lié à l'intensification du recours des entreprises aux émissions d'obligations sur le marché primaire (en particulier sur le marché bancaire). Le marché obligataire globalement atteint le niveau de 209 milliards de dinars, dont 84 milliards de dinars sont cotés actuellement en Bourse. Cela concerne les emprunts émis auprès du grand public. Au niveau de la cote officielle, on a cinq titres obligataires cotés dont une obligation récemment introduite qui concerne une entité privée (le groupe Dahli). Il faut préciser que le volume et les valeurs transigés sur les obligations sont nettement plus importants que les volumes et valeurs enregistrés sur titre de capital, à savoir les actions du fait que l'encours des obligations est plus important parce que les intérêts proposés sur les obligations sont très attractives et progressives surtout en raison de leur maturité résiduelle (restant à courir) qui, en moyenne, avoisine les quatre années. Au cours de l'exercice 2008, le niveau des échanges transigées concernant les actions a atteint 24 millions de dinars, tandis que celui des obligations s'est chiffré à 1,197 milliard de dinars. La capitalisation de la Bourse d'Alger est de l'ordre de 6,4 milliards de dinars. Elle représente 0,07% du produit intérieur brut (PIB). En Tunisie, la capitalisation est plus importante : elle atteint 30% du PIB. Au Maroc, la capitalisation est beaucoup plus importante : 37% à 40% du PIB. La Bourse d'Alger est ainsi une petite Bourse. Sa croissance relative est tirée par le marché obligataire. Par ailleurs, le Trésor public a décidé en 2008 d'introduire des titres obligataires moyen et long terme au niveau de la Bourse d'Alger. La première séance de cotation sur les obligations du Trésor (OAT) a été réalisée en date du 11 février 2008. Le Trésor public a introduit jusqu'à ce jour 19 lignes d'obligations totalisant un encours de l'ordre de 160 milliards de dinars. Ces obligations ont été émises initialement sur le marché primaire par adjudication à la hollandaise (enchères : au prix sollicité par les demandeurs). Ces titres ont des maturités de 7,10, 15 ans. Durant les 11 mois qui ont suivi l'introduction de ces obligations, on a recensé l'échange d'une valeur de 1,7 milliard de dinars. Cette faiblesse des échanges est due principalement à la surliquidité du système bancaire et financier, ainsi qu'à une forte concentration de la détention des titres du Trésor auprès des institutions financières, et plus particulièrement les organismes de Sécurité sociale et les compagnies d'assurance tenus par le respect de la constitution d'une réserve obligatoire en titres souverains (valeurs du Trésor). Où en est le chantier visant à développer le marché boursier ? La Bourse d'Alger depuis pratiquement 2005 a été concernée par un plan de développement et de modernisation. Ce plan a été matérialisé par une consolidation et un renforcement de nos capitaux propres à travers une augmentation de capital décidé en 2006, qui a donc relevé le capital social à plus de 475 millions de dinars, soit donc 400 millions de dinars d'apports en ressources fraîches de la part des actionnaires. Ces ressources propres visaient à permettre à cette institution de se doter d'une ressource humaine qualifiée, de former cette ressource humaine. Parallèlement, cela devait contribuer à la modernisation du système de négociations. Nous avons un système de négociations qui ne répond pas à tous les standards internationaux en matière de cotation des valeurs mobilières (actions et obligations…). Il était question de remplacer l'actuel système par un système plus moderne, il fallait au préalable recenser les besoins des acteurs du marché, prévoir son évolution à l'effet de concevoir les caractéristiques techniques de ce nouveau système de négociation. Pour ce qui est des points réalisés, il faut dire concernant le volet ressources humaines, la direction de la Bourse a procédé au recrutement de jeunes cadres universitaires ayant fait les écoles de commerce, l'Ecole supérieure des banques et l'Institut supérieur des statistiques et de la planification. Ces jeunes sont en formation actuellement sur toutes les techniques boursières, notamment sur les techniques relatives aux opérations d'ouverture du capital, d'introduction des valeurs mobilières et l'échange de ces valeurs sur le marché secondaire. Concernant le système de négociations, il y a eu l'appel d'offres national et international que la direction de la Bourse a lancé durant l'exercice 2008 pour recruter un cabinet-conseil qui devait nous aider à l'élaboration d'un cahier des charges pour éventuellement sélectionner un fournisseur de systèmes de négociations. Cet appel d'offres a été déclaré infructueux en raison, notamment des offres financières relativement excessives exigées par les bureaux- conseil. Parmi les cabinets ayant soumissionné, on peut citer KPMG, Eurogroupe, Deloitte et PriceWaterhouseCoopers. Nous allons relancer cette procédure dans un cadre plus élagi. Qu'en est-il du développement du marché boursier ? Au cours de l'été 2008, sous l'égide des autorités financières, des ateliers ont été constitués et lancés sur la réforme du secteur financier. Ces ateliers devaient se pencher sur le secteur bancaire, le secteur des assurances, le secteur du marché financier. La Bourse appartenant au secteur du marché financier a été incluse dans les travaux d'un atelier dédié au marché des capitaux. Plusieurs actions visant le développement du marché financier, notamment le marché boursier, ont été arrêtées sous forme d'un plan de modernisation. Les acteurs qui ont participé à ces travaux sont la Commission d'organisation et de surveillance des opérations en Bourse (Cosob), la Société de gestion de la Bourse des valeurs (SGBV), le dépositaire central et les Intermédiaires en opérations de Bourse (IOB). Il faut savoir que seules les six banques publiques disposent d'un agrément définitif pour exercer cette activité d'intermédiation. Récemment, la Cosob avait attribué un agrément provisoire à Stategica Finance (société privée) qui est en phase de clôturer sa procédure d'agrément définitif. Les travaux de cet atelier ont permis de déboucher sur l'adoption par toute la place d'un plan de modernisation du marché. Ce programme a été approuvé par le ministère des Finances et le gouvernement. Il est actuellement en phase de mise en application à travers le recrutement d'experts internationaux qui vont travailler en étroite collaboration avec des experts nationaux et les acteurs du marché à l'effet de mettre en application tous les points retenus dans ce plan de modernisation. On peut les résumer en cinq points essentiels : 1- l'alimentation du marché financier par principalement des titres de capital et éventuellement des titres de créances. Pour ce faire, il faut inciter les sociétés privées à recourir au marché financier, soit en émettant des actions dans le cadre d'augmentation du capital ou d'ouverture du capital, soit en émettant des obligations dans le cadre de financement à moyen et long terme. Il convient de considérer la Bourse comme étant un mécanisme transparent surtout, concurrentiel pour les opérations de privatisation des entreprises publiques. Il faut que les autorités sachent que la Bourse est un moyen de privatisation pertinent, transparent qui pourrait permettre de préserver les intérêts de l'Etat, et surtout permettre le transfert des actifs étatiques au privé de manière graduée, de façon assez rationnelle et assez optimale ; 2- le second axe de réflexion ou de réforme a porté sur l'organisation des IOB et la professionnalisation de ces derniers ainsi que l'élargissement de cette activité à d'autres acteurs présentant des qualifications techniques et technologiques, élargir aussi les opérations réalisées par ces intermédiaires à d'autres activités telles que la gestion collective des portefeuilles, l'ingénierie financière, l'animation du marché ; 3- les travaux ont porté également sur le système d'information et de négociations. On a relié la procédure qu'on avait entamée à ce plan de modernisation. Il serait plus intéressant que l'acquisition de ce système de négociations soit le choix de toute la place et, approuvé par les autorités, il fera l'objet d'un choix collégial. Tout ce monde optera pour un système qui correspondra aux anticipations et à l'évolution du système financier algérien et qui prendra en compte ces spécificités ; 4- la réflexion a porté également sur l'image des sociétés de marché et leur gouvernance. Nous avons deux sociétés de marché : d'abord la SGBV, qui gère le système de négociations, organise toutes les séances de cotation sur les valeurs mobilières ; le dépositaire central : conservation et la préservation des valeurs mobilières, assure toutes les opérations sur titres, notamment le paiement des dividendes, le remboursement à l'échéance des valeurs mobilières, assure les opérations d'augmentation de capital, la création des valeurs mobilières et la codification des valeurs mobilières dématérialisés. Ces deux sociétés de marché doivent être renforcées. On doit spécifier les prérogatives de chacun, des dirigeants de chacune de ces sociétés et surtout préciser la priorité réglementaire. Est-ce qu'il s'agit d'une priorité donnée à la loi régissant le marché des valeurs mobilières ou le code de commerce ? Ce sont des sociétés par actions, mais ayant une activité relativement particulière. Il faudrait également mettre l'accent sur leur image de sociétés à travers l'attribution d'un siège décent à la Bourse d'Alger et à la Cosob qui est l'autorité du marché ; 5- la réforme porte sur l'information, la formation et l'institution d'une culture financière et boursière au sein de la société. Parmi les lacunes d'une économie de marché, la société n'est pas prédisposée à comprendre les mécanismes du marché financier. Il faut investir le volet formation, le volet culture boursière pour espérer par la suite un engouement pour les opérations du marché secondaire. Ce plan de modernisation court sur deux ans. Il devra être mis en œuvre à partir d'octobre 2009. Comment analysez-vous les résultats de l'emprunt obligataire Dahli ? Le groupe Dahli n'a pas atteint son objectif visé : drainer 8,3 milliards de dinars. Il a récolté 2,3 milliards de dinars. L'investisseur algérien est frileux. Cette frilosité s'explique par un historique : la faillite des banques privées locales qui ont causé des pertes colossales aux déposants. On a enregistré, cependant, 1 259 souscripteurs, soit davantage que l'emprunt d'Algérie Télécom lancé en 2006. K. R.