Liberté : Le président de la République s'est engagé dans son discours d'investiture à privilégier la liberté de la presse. Quel sens donnez-vous à cet engagement ? Mokrane Aït Larbi : On ne peut pas dissocier la liberté de la presse des libertés publiques et des droits de l'Homme. Ces libertés sont incompatibles avec l'état d'urgence. Il faut rappeler que les marches pacifiques sont interdites, les réunions publiques sont soumises à autorisation, le ministère de l'Intérieur refuse d'agréer les partis politiques, celui de la justice ne délivre pas de récépissé pour la création d'organes d'information. Des journalistes sont arrêtés et condamnés pour avoir dénoncé l'arbitraire et l'abus de pouvoir. ll y a même des interdictions extrajudiciaires de quitter le territoire national pour des raisons politiques. Donc, en dehors du discours, je ne vois pas de quelles libertés on parle. La liberté de la presse, comme toute autre liberté, ne s'octroie pas, mais doit s'arracher par une lutte pacifique des journalistes et des militants des droits de l'Homme. Le journaliste doit défendre sa liberté face aux pouvoirs publics, mais aussi face aux partis politiques, aux groupes d'intérêts et même aux patrons de la presse. Dans le même discours, il a mis en relief “le rôle majeur” que doit jouer la presse dans la lutte contre la corruption. Comment, selon vous, la presse peut-elle jouer ce rôle, sachant qu'elle n'a pas accès aux sources d'information et que les informations qu'elle sera amenée à publier peuvent exposer le journaliste à des sanctions sous prétexte de diffamation ? Ne faut-il pas au préalable dépénaliser le délit de presse ? La lutte contre la corruption ne doit pas rester un simple discours, et la presse ne peut pas prendre en charge seule cette question. Pour une lutte efficace contre ce fléau qui se généralise, l'Etat doit mettre en œuvre tous les moyens dont il dispose. Cette lutte passe obligatoirement par l'autonomie de la Police judiciaire de la tutelle et l'indépendance des magistrats du pouvoir politique. Ces institutions ne doivent obéir qu'à la loi. La preuve en la matière est très difficile, mais il faut peut-être demander à tous les responsables sans exception aucune de justifier la provenance de leur patrimoine et de leur niveau de vie. Par ailleurs, la presse doit avoir accès aux sources d'information grâce à un dispositif juridique qui doit être mis en place. Les journalistes doivent faire la distinction entre l'information et la diffamation. La première doit être garantie par la loi et la seconde sanctionnée par la justice. Pour être franc, je suis contre la dépénalisation de la diffamation et de l'injure par voie de presse. La liberté, c'est la responsabilité et chacun est responsable de ses actes et de ses propos. Une personne qui s'estime diffamée a le droit de poursuivre en justice. Mais il faut lutter pour la suppression des peines de prison, l'arrestation ou la convocation de journalistes par la Police judiciaire, demander la spécialisation des magistrats chargés de ces dossiers et permettre aux prévenus de se faire représenter par un avocat. La liberté de la presse passe obligatoirement par l'indépendance de la justice.