Dans cet entretien, le professeur Athmani soulève la problématique de la prise en charge des malades mentaux une fois sortis de l'hôpital. Au-delà des cas SDF qui sont quasiment abandonnés par leur famille ou ceux ayant carrément fui leur domicile, se pose la question d'autres catégories qui sont rejetées par leur entourage en raison de leur maladie. Liberté : Quels sont généralement les motifs d'hospitalisation à Drid-Hocine ? Professeur Athmani : Nous donnons la priorité aux cas les plus urgents : suicidaires, agressifs majeurs, malades qui posent d'importants problèmes relationnels ou ceux qui exigent des thérapies plus radicales. Nous avons aussi toute la panoplie des pathologies mentales : névrotiques, psychotiques, dépressifs… La plus commune en Algérie étant la dépression, comment qualifiez-vous à votre La dépression apparaît le plus souvent sous différents aspects selon la personnalité du patient. Elle a des formes cliniques et des degrés divers ; nous dissocions en général la dépression endogène de la dépression dite relationnelle. Comment les distinguer ? La dépression endogène constitue l'une des pathologies les plus graves, car elle se situe au niveau de la chimie cérébrale, elle est quasiment organique et sans cause apparente ; c'est celle qui donne du fil à retordre aux spécialistes. Quant à la dépression relationnelle, elle est la plus fréquente, dans la vie de tous les jours. Notre principal souci, ici, ce sont les suicidaires, c'est-à-dire ceux dépressifs qui sont en état de passer à l'acte. Y en a-t-il beaucoup à Drid-Hocine ? Oui. Il y en a pas mal. Est-ce à un âge particulier ? Non. Pas spécialement. Chacun a ses propres motifs. Mais en tenant compte de la pyramide des âges, on peut avancer que l'âge le plus vraisemblable se situe autour de 40 ans. C'est grosso modo quelqu'un qui travaille et qui perd son emploi, par exemple, ou qui est en butte à des problèmes conjugaux ou familiaux. Le schizophrène, aussi, peut avoir tendance à vouloir mettre fin à sa vie. Le schizophrène, pourquoi donc, professeur ? Le schizophrène peut déprimer secondairement, je dirai. À un certain moment de son traitement, il finit par prendre conscience de lui-même et de l'état où il se trouvait. C'est cela même qui peut le conduire à la dépression, car certaines situations qu'il a vécues deviennent trop pénibles à vivre pour lui et il risque de vouloir abréger ses souffrances. Le rôle du psychiatre est primordial en ce qu'il doit l'assister à cette étape cruciale. La schizophrénie, en majorité à Drid-Hocine, est-elle guérissable … Oui. D'autant que nous disposons de nouveaux médicaments d'une grande efficacité. Contrairement à ce que nous donnions auparavant et qui constituaient des produits médicamenteux qui bloquaient le patient comme dans une armure en l'empêchant de communiquer avec son entourage, nous avons aujourd'hui la chance de soigner nos patients sans qu'il y ait aucun effet secondaire, avec même une amélioration sensible du côté relationnel. Nous avons aussi une série de techniques thérapeutiques qui accompagnent le malade, dans un cadre bio-psycho-social. Un travail de longue haleine pour vous ? Souvent. Notre rôle est d'abord de soigner en décapant les premiers symptômes gênants, puis en tentant de ramener progressivement le double équilibre du malade vis-à-vis de son propre ego et de son environnement. Quelle est la part des choses dans les trois causes bio-psycho-sociales que vous citiez dans la maladie de la schizophrénie ? Actuellement, les recherches s'orientent beaucoup plus vers le côté biologique, c'est-à-dire génétique. Il n'y a pas, à proprement parler, de facteur social qui précipite la schizophrénie. Il peut y avoir une prédisposition sans doute. Les drogues aussi peuvent entraîner la maladie ; c'est un cas de figure. Pour vous, en tant que psychiatre, la folie renvoie-t-elle à la psychose ? Il s'agirait pour nous de traduire effectivement ce qu'on nomme ordinairement la folie par la psychose Et comment peut-on expliquer cela en résumé ? C'est une maladie dans laquelle le patient n'est pas conscient des troubles qu'il présente (c'est le psychotique), contrairement à celui qui souffre, mais reste conscient de sa souffrance (le névrotique), au point que c'est lui-même qui demande à être soigné. Le premier délire, hallucine, le second est anxieux, obsessionnel et phobique. Quelle est votre appréciation sur le nombre important de ces malades errants dans les rues ? Il me semble qu'il y a là plus un problème social que pathologique qui se pose pour tous ces gens : pas de travail ou pas de famille, ou les deux à la fois. Ce sont pour la plupart des SDF. Et ceux qui sont abandonnés ici à l'hôpital ? Certains sont ramenés par leur famille au début, qui s'occupent d'eux, puis à fur et à mesure que la pathologie dure, les familles se découragent et finissent par rejeter leur malade. Ici, en général, les malades réagissent bien à la thérapie et souvent le problème se pose pour eux quand ils repartent. La plupart ne trouvent pas à l'extérieur de soutien satisfaisant. Il n'y a que 54 lits pour les femmes à Drid-Hocine sur 216. Comment doit-on estimer cet état de fait ? Il y a peut-être des considérations culturelles qui entrent en jeu…