Le retour à la stabilité institutionnelle après plus d'une décennie de désordre sanglant n'a pas réglé la problématique de la légitimité politique dans notre pays. Celle-ci reste entière, perturbée par un chancre hérité de la période coloniale : le trucage électoral. Le système de légitimation mis en place depuis le premier scrutin présidentiel pluraliste (1995) a atteint des limites que les kermesses électorales n'arrivent plus à cacher malgré la récurrence des rushs télévisés et le traditionnel gonflement des chiffres. La fracture civique frappe de plein fouet. Elle est tellement visible que l'opinion publique internationale – institutionnelle et civile – ne s'est pas laissée abuser lors de la dernière élection présidentielle. La désaffection de l'électorat crée un fossé entre le citoyen et les institutions, réalité qui fera naître un sentiment d'exclusion, y compris dans les couches moyennes. Le hiatus entre richesse de l'Etat, d'une part, et la permanence de problèmes du pouvoir d'achat, de chômage à un niveau élevé et de mal-vie dans la société, d'autre part, démobilise de plus en plus les forces vives du pays. Attirée par les mirages du Nord, une partie de la jeunesse paye au prix fort son appel à l'insertion sociale et à l'intégration économique. Le phénomène des harragas illustre de manière tragique cette quête de dignité et, paradoxalement, de volonté de vivre. Créer les conditions du “vivre ensemble” et, osons-le, du bonheur, exige, entre autres, l'assainissement de la vie publique, cette dernière étant assimilée à tort ou à raison par l'opinion comme un moyen rapide et indu d'enrichissement du personnel politique. La corruption générée notamment par l'absence de démocratie, symbolisée constitutionnellement par le déséquilibre des pouvoirs entre l'Exécutif et le législatif et l'absence de séparation de ces derniers entre eux et séparément avec le juridique, dénote la volonté de tout régenter et de réduire ainsi les espaces de liberté à leur plus simple expression. Ce patriarcat politico-institutionnel réinvente le zaïmisme, système incarné par un chef incontestable, imperméable à la transparence. L'inexistence du statut du parlementaire (député et membre du Conseil de la nation) pour exercer convenablement ses trois fonctions génériques - législative, contrôle du gouvernement et intermédiaire entre les citoyens et les institutions - participe en partie de cette logique d'opacité. Tout doit procéder d'en haut ! S'il est indispensable de refonder le socle de légitimité, il n'est pas interdit, dans le cadre institutionnel en vigueur, de mettre en place un certain nombre de mesures qui puissent remettre un tant soit peu de la confiance entre l'Etat - définition juridique et abstraite de la nation - et le peuple, par exemple, par la déclaration publique du patrimoine de tout élu au début et à la fin de l'ensemble des mandats électifs. Le contenu doit être accessible publiquement à tout citoyen. Certes les tricheries existeront toujours mais la loi sera un premier pas vers un meilleur contrôle des deniers publics et de ceux qui sont chargés de les gérer. L'opposition légale, parlementaire ou extra-parlementaire, doit porter cette revendication et montrer l'exemple pour échapper à cette réflexion désabusée et fatale : “Ils sont tous les mêmes.” Le ré-enchantement du politique qui conditionne la perspective démocratique passe en priorité par la capacité de l'opposition à s'imposer comme une alternative crédible. Devant ce défi, l'opposition démocratique qui porte l'espoir du changement, voire de rupture, fait face à des contraintes externes et internes. Les premières sont connues. Elles sont basées sur la fraude électorale et le contrôle des moyens d'expression au bénéfice quasi exclusif du pouvoir. Ce n'est pas un obstacle de moindre importance. Pourtant, il y a des exemples dans le monde où des transitions démocratiques se sont opérées dans des systèmes rigides au niveau de toutes les aires géopolitiques, à l'exception des Etats de la Ligue arabe. Le Ghana est le dernier exemple de l'alternance après une expérience démocratique récente. Ce qui est possible ailleurs pourrait l'être en Algérie. Crédibiliser l'opposition Pour mobiliser l'opinion à son projet malgré les contraintes externes, il faut aussi être attractif dans son fonctionnement, sa composante et son discours. Les partis se réclamant de la mouvance démocratique sont le miroir inversé du modèle qu'ils entendent combattre. Les chefs sont inamovibles et les appareils verrouillés par des cooptations. Les congrès pré-fabriqués légitiment périodiquement les allégeances. La fidélité n'est pas aux idéaux mais au leader. Et l'esprit de complotite fait et défait les structures. Les parcours des formations du courant démocratique sont parsemés d'exclusions et de démissions, créant chez bon nombre de militants des désillusions irréversibles. Ces formations se vident de leurs cadres, fragilisant davantage leurs assises dans une lutte pourtant déséquilibrée face au pouvoir. Les conséquences sont terribles à l'intérieur et à l'extérieur de ces partis. La plus insupportable est de faire croire que la rhétorique du discours démocratique est automatiquement synonyme de pratique démocratique. De jeunes novices en sont sincèrement convaincus. Leur désenchantement sera à la mesure de la désillusion de leurs aînés exclus ou démis. Du reste, la critique à juste titre de la révision constitutionnelle contre la limitation des mandats — l'un des rares acquis de la modernisation institutionnelle – est frappée d'impertinence auprès de la population eu égard à la longévité des leaders partisans à la tête de leurs formations politiques. Sur ce point, les dirigeants du pouvoir en sont décomplexés et le font savoir bruyamment. L'Algérie offre le spectacle désastreux d'une multiplicité de partis uniques. Sommes-nous donc tous les mêmes ? Non, à condition de faire son aggiornamento et d'être dans la pratique en conformité avec les idéaux et à l'éthique citoyenne que l'on veut promouvoir. L'Algérie a changé avec de nouvelles générations qui sonnent aux portes des marchés économiques et politiques. Les partis démocratiques doivent investir dans la jeunesse, cette majorité sociologique qui est une chance pour le pays. Les jeunes sont, en effet, un immense réservoir de force de travail si on sait leur donner les moyens de leur épanouissement. Il faut arriver, à terme, par la combinaison de la démocratisation interne et externe, à faire coïncider la majorité politique et la majorité sociologique du pays dans les affaires publiques. Les partis démocratiques, dont la philosophie est basée sur deux principes fondateurs, la liberté et l'égalité, doivent non seulement attirer les femmes pour le combat politique mais également se montrer volontariste en créant des postes éligibles en faveur de cette catégorie. Ce n'est pas le cas pour le moment. Il est même devenu visible que les associations de femmes sont réticentes à l'endroit de ces partis au regard notamment de propositions non concluantes dans le passé. L'éparpillement des voix et des énergies travaille en faveur des forces conservatrices. En matière de discours, le renouvellement est indispensable. La situation d'hier a imposé des schémas et catégories trop idéologiques qui sont devenus obsolètes. S'intéresser aux problèmes et les résoudre dans le cadre de la gestion locale notamment, qui doit être plus efficiente, est l'une des clefs à l'indispensable élargissement social et spatial du courant démocratique. Ces conditions remplies permettront la mobilisation citoyenne et militante pour lever les contraintes du pouvoir sur la vie nationale, dans un premier temps, et s'attaquer à l'indispensable chantier de l'alliance des forces démocratiques (partis, syndicats, ONG, personnalités). Jusqu'à aujourd'hui les rares tentatives de regroupement ont naturellement échoué. Le fiasco de la dernière initiative de lancement d'une pétition de personnalités politiques appelant au boycott du scrutin présidentiel du 9 avril 2009 est symbolique de cette incapacité. Ce dernier déboire soulève par ses non-dits et en filigrane la question du leadership. La gestion des ego est à elle seule tout un programme de travail. Il faut être imaginatif pour trouver les formes de désignation de candidats. Si la volonté existe, le reste suivra. Un champ de ruines La recomposition du champ politique, ces dix dernières années, se fait aux dépens de l'opposition en général et du camp se réclamant de la démocratie en particulier. Ce dernier, sous le double verrouillage de ses propres appareils et de l'action du pouvoir, est devenu un champ de ruines. Il n'y a pourtant aucune fatalité à cette situation. Des exemples de notre propre histoire contemporaine, à l'image de la crise qui avait frappé le Mouvement national à la veille du 1er Novembre 1954, montrent que rien n'est insurmontable et rien n'est définitif. Ensemble de notions de droits et libertés, la démocratie se conquiert. Le peuple algérien est capable de cette prouesse si les acteurs imprégnés de cette culture se montrent à la hauteur de l'enjeu par l'éthique de conviction et l'éthique de responsabilité. T. M. (*) Député RCD de Béjaïa