Parler de l'Arabie Saoudite, c'est déjà inclure deux éléments fondamentaux des rapports internationaux depuis au moins un demi-siècle. Le pétrole et son marché, ainsi que les relations avec les Etats-Unis depuis que ces derniers ont mis fin à leur « splendide isolement », soit dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et ces rapports étaient tels qu'ils étaient fondés dans une sorte de pacte ou d'alliance où l'un et l'autre facteurs étaient étroitement liés. C'est le fameux accord stratégique liant les deux pays, perçu dès sa conclusion comme une sorte d'échange, l'un, les Etats-Unis, assurant la sécurité du royaume saoudien, lequel, en contrepartie, fournira à son puissant allié tout le pétrole dont il avait besoin. C'est cet accord qui a régi cette relation toute particulière et mis en cause depuis les attentats antiaméricains du 11 septembre 2001 et l'implication de Saoudiens, et qui doit être renouvelé ou renégocié. Les conditions d'il y a 50 ans ne sont manifestement pas les mêmes et il se dit que les Etats-Unis, qui se sont lancés dans une incroyable opération de recherche de nouvelles sources d'approvisionnement en pétrole, envisageraient de revoir ce rapport. C'est ce qui explique, dit-on, le forcing en vue d'exploiter le pétrole de la mer Caspienne, les découvertes dans le golfe de Guinée en Afrique. Le tout, selon les experts, est de briser un rapport de dépendance et qui redonnerait à la diplomatie américaine toute sa liberté. Mais il n'y a pas que cela dans les différents cercles américains où, semble t-il, la réflexion non officielle, bien entendu, n'exclut pas une révision de la carte de la région. Un danger rapidement perçu par les monarchies arabes de la région. Et il se dit même que le nouveau roi d'Arabie Saoudite a fait preuve d'anticipation avec des initiatives remarquées. Une au moins a été relevée, elle a fait l'objet d'une résolution arabe au sommet de Beyrouth tenu en mars 2003, et elle consiste à proposer une normalisation arabe globale avec Israël en échange de son retrait des territoires arabes qu'il occupe. De son vivant, Fahd, encore prince, avait obtenu le même engagement des pays arabes au sommet de Fès en septembre 1982, en faisant approuver une résolution reconnaissant, dans son article 7, le droit de tous les Etats de la région (du Moyen-Orient) à l'existence à l'intérieur de frontières sûres et reconnues. Ce qui constituait une reconnaissance implicite d'Israël. Anticipation Qualifié de dogmatique et de nationaliste, le nouveau roi Abdallah a tout fait pour se défaire d'une image selon laquelle il a toujours été distant par rapport aux Etats-Unis, mais proche à l'inverse du wahhabisme. Le résultat en est son séjour en juin dernier dans le ranch personnel du président américain George W. Bush. Un privilège rare, mais aussi une forme de démenti à toutes les supputations. Ou encore un esprit de continuité assuré de son vivant par le roi Fahd, comme l'ont fait tous ses prédécesseurs. Souvent qualifiée de « stratégique », l'alliance entre Riyad et Washington repose sur la détermination des Etats-Unis à assurer la continuité de leurs approvisionnements en pétrole et sur le besoin de l'Arabie, dont le sous-sol recèle le quart des réserves mondiales prouvées de brut, de protéger cette source de richesse. Cette convergence d'intérêts s'est aussi matérialisée de la manière la plus nette lorsque l'Irak, dirigé alors par Saddam Hussein, a envahi le Koweït en août 1990, suscitant la crainte d'une avancée irakienne dans la province orientale de l'Arabie, riche en pétrole. Le roi Fahd autorisait alors le déploiement de centaines de milliers de militaires américains dans le royaume - qui abrite pourtant les deux principaux Lieux saints de l'Islam - et acceptait que son pays serve de base à la coalition internationale, dirigée par les Etats-Unis, qui conduisit la guerre du Golfe en 1991 pour libérer le Koweït. Pendant les années qui suivirent, des avions américains et d'autres pays de la coalition décollèrent de bases situées en Arabie Saoudite pour faire respecter la « zone d'exclusion aérienne » établie au-dessus du Sud irakien, ce qui provoqua la colère des intégristes saoudiens, indignés par la présence des « infidèles » au cœur de la terre d'Islam. Profil bas Les relations entre Riyad et Washington ont connu leur revers le plus sérieux lorsqu'il s'est avéré que la plupart des pirates de l'air ayant commis les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone étaient des Saoudiens. Avec Abdallah aux commandes, l'Arabie Saoudite adopta un profil bas, fin 2001, pendant la guerre en Afghanistan contre le régime des talibans protecteur d'Al Qaîda. Il est vrai que Riyad était l'un des rares pays à entretenir des relations diplomatiques avec les talibans. Quand les Etats-Unis décident d'envahir l'Irak en mars 2003 pour renverser Saddam Hussein, l'Arabie Saoudite exige un mandat de l'ONU pour coopérer. En l'absence de cette couverture onusienne, les Etats-Unis décident de mener la guerre depuis le Qatar, petit Etat voisin et rival de l'Arabie, et le QG des forces aériennes américaines dans le Golfe est ensuite transféré de la base prince Sultan vers le petit émirat, mettant fin à 13 ans de présence dans le royaume. La tension provoquée par les attentats du 11 septembre 2001 a seulement commencé à diminuer lorsque l'Arabie saoudite, accusée à Washington de laxisme envers le terrorisme, a lancé sa propre traque des partisans de ben Laden. Depuis, les responsables des deux pays n'ont eu de cesse de se décrire comme des partenaires dans la guerre contre le terrorisme. Et quand cette alliance venait à être frappée de suspicion, les deux pays trouvaient la parade. C'est le Grand moyen-orient (GMO), un plan de démocratisation du monde arabe et musulman, mis sur pied par Washington, et les réformes, vraiment timides. Les premiers mots de George Bush père en 1991, dès la fin de la première guerre contre l'Irak, allaient dans ce sens. Mais point de réponse. Et c'est là justement où le discours américain sur la démocratie est frappé de suspicion. Il n'a jamais été rigoureux avec les alliés de Washington. Il reste que la rencontre Abdallah-Bush de juin dernier tend, à elle seule, à rendre farfelues les hypothèses de changement. C'est la continuité.