Alors que la pièce Massra du Théâtre national algérien s'intéresse à la question palestinienne, Noun du Théâtre régional de Sidi Bel-Abbès se penche sur la question algérienne et plus précisément sur les années rouges de la décennie 1990. Le jury de la 4e édition du Festival national du théâtre professionnel rendra son verdict ce soir. Mais rien n'est encore joué. Mardi dernier, c'était le Théâtre national algérien qui est entré en compétition, avec la pièce Massra du metteur en scène irakien, Fadel Abbas Al Yahia. Adaptée par ce dernier d'après l'œuvre de Mohamed Maâmoun Hamdaoui, la pièce, dont le titre est inspiré de Israe wa el Miraj : le voyage nocturne et l'Ascension du Prophète, raconte l'histoire de la ville de Massra où évolue les communautés musulmane et chrétienne en toute harmonie, jusqu'au jour où un intrus du nom de Yussef s'installe dans cette ville, troublant ainsi sa sérénité et son harmonie. Son véritable nom c'est Ezra ; il n'a aucune terre et son seul but : appartenir à Massra. Les habitants de Massra se réveillent et neutralisent le mal qui s'est déjà propagé, mais il est déjà trop tard. Le texte est fort et profond, même s'il démarre d'une idée toute simple. Liftée, Massra a duré environ une heure vingt minutes, mais cela n'a rien arrangé au rythme, toujours aussi lent. Abdelhalim Zribie et le jeune Slimane Ben Ouari ont été d'une rare maîtrise. De son côté, Mounira Rabhi Fissa, qui a campé le rôle de Fadwa, a été très juste, mais sa voix était nasale et le résultat n'a pas été au top. Massra était d'une grande beauté sur le plan visuel, grâce notamment à la scénographie, représentant ainsi les 4 couleurs du drapeau palestinien. Avant-hier, c'est le Théâtre régional de Sidi Bel Abbès qui est entré en lice, avec la pièce Noun, mise en scène par Azzedine Abbar, d'après un texte du journaliste et auteur Hmida Ayachi. Avec un propos très profond, Noun est un spectacle d'une grande audace puisque le Théâtre de Bel-Abbès a pris le risque d'inscrire sa pièce dans le genre de l'absurde. Cinq personnages évoluent dans un espace clos accentué par les formes rectangulaires. En fait, ces personnages, notamment une danseuse, un enfant, une jeune fille et un jeune garçon qui a d'ailleurs beaucoup de choses à se reprocher, se retrouvent dans al-barzakh (les limbes), cette frontière qui sépare la vie de la mort, mais dans la pièce, ce terme a également d'autres connotations. Les protagonistes sont placés dans une position d'attente : ils attendent tous Noun. Il représente leur salut, mais contrairement à Godot, Noun finit par les rejoindre. Noun a un pouvoir qu'ils n'ont pas, il a la capacité d'écrire, de dire la vérité, de révéler ce qui leur est arrivé, mais il n'a rien fait jusque-là. Noun a perdu sa plume. Le drame des personnages de Noun est le drame de l'Algérie qui est également en situation d'attente sur tous les plans. Avec intelligence et subtilité, Noun revient sur le terrorisme qui a ravagé l'Algérie durant toute la décennie 90, puisque les personnages sont des victimes de cette période-là. Mais ce qui est encore plus troublant, c'est qu'aucun d'entre-eux ne parle clairement ou délibérément de sa mort. Chacun se cache derrière ses souvenirs, et lorsque ceux-ci sont très pénibles, la chorégraphie prend le relais. La mise en scène était parfaite, la scénographie sublime, la direction d'acteurs rigoureuse, et le jeu des comédiens frôlant la perfection. Les scènes sont ponctuées par des chants tristes du fin fond du désert, interprétés par Meriem Mbarek Ahmed, sur les airs du luth mélancolique de Hamou Sioud. Philosophique, le texte de Hmida Ayachi a une dimension poétique également, et une autre relative à ses questionnements en tant qu'écrivain. En effet, il y a l'usage de la langue arabe (classique et dialectale) et puis il y a le titre : Noun, qui prendrait la signification que lui attribuent les Egyptiens dans leur mythologie, à savoir celle du dieu et/ou concept de l'océan qui fait la vie et qui fera la mort, car les personnages sont dépendants de Noun dans la pièce. De plus, le sens du terme al-barzakh s'élargit dans la pièce, et renvoie également aux questionnements des théoriciens du théâtre, qui s'interrogent sur la distance qui existe entre un texte et son auteur, un metteur en scène et un auteur, un comédien et un personnage, une représentation et un public… Il y a donc une réflexion sur le théâtre et sa pratique qui est très intéressante. Et puis, il y a un auteur qui se cherche également dans une société… en mutation qui n'en finit pas de muter.