Le Patriote, Mohamed Gharbi, est condamné à mort pour avoir tué un terroriste. En principe, on ne commente pas une décision de justice. Soit ! Cela nous économisera de rediscuter le fond de l'affaire. Mais on peut être choqué, indigné. Ce qui nous autorisera à en tirer les enseignements sur l'état de la justice et, partant, de la société et de sa république. Car, ce qui est en cause, ce n'est pas que le procès ait eu lieu, c'est qu'il puisse avoir lieu. Ce qui n'est plus le problème de la justice. L'événement permet, en effet et surtout, de mesurer le chemin parcouru par les valeurs. Même en courant à reculons, elle ne pouvait atteindre ce paradoxe ; dans l'histoire de l'humanité, le cas n'a jamais été “décrit”, comme disent les chercheurs en médecine : un état “républicain” qui juge et condamne un résistant pour avoir “assassiné” un terroriste. Il faudra s'en rappeler parce que ce sera peut-être le seul lieu et la seule époque où, grâce à la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, on aura pu l'observer et l'écrire. C'est vrai qu'il a été prescrit que dans l'esprit de la “réconciliation nationale”, on ne doit plus appeler par leur nom les tueurs des groupes terroristes qui ont été absouts de leurs crimes, même si aucun d'entre eux n'en a fait pénitence. Mais la dénomination est question de langue, pas de loi : le Littré désigne par terroriste “un partisan du système de la terreur” ; il n'y a donc pas de raison d'appeler autrement quelqu'un qui a adopté ce système, qui l'a physiquement servi et qui n'a jamais renié sa conviction. Face à la totale absolution d'un terroriste devenu “victime”, le vieux Patriote devenu “assassin” n'aura même pas eu droit à des circonstances atténuantes. Il devait profondément croire que le contexte lui était favorable : moudjahid pour l'Indépendance, résistant au terrorisme, il aura été deux fois Patriote pour finir condamné à mort, non pas par les ennemis qu'il a successivement affrontés, mais par la République qu'il a défendue avant qu'elle n'existe puis après qu'elle fut menacée d'affaissement. Ni cet itinéraire, ni son âge, ni la “qualité” d'une “victime” qui, elle, n'a pas eu à répondre de ses crimes, n'ont contribué à alléger un verdict qui est allé en s'alourdissant, d'appel en cassation. L'escalade en sévérité des peines prononcées est significative : comme dans une logique de guerre, soumise au principe de “montée aux extrêmes”, à chaque fois que le prévenu riposte en appel, le châtiment est aggravé. Gharbi ne sera certainement pas exécuté. L'Algérie observe un mémorandum sur l'application de la peine capitale depuis 1993, au lendemain de l'exécution de trois des auteurs du premier attentat islamiste à la bombe qui a provoqué un carnage à l'aéroport d'Alger. Depuis, plus aucun terroriste n'a été exécuté, et les condamnés de droit commun bénéficient d'une espèce de grâce concomitante. Plus tard, les quelque deux mille six cents terroristes emprisonnés ont été libérés et bénéficient d'une prévenance particulière, alors que leurs victimes n'ont pas eu droit à une justice, pas même pour le principe de vérité universellement admis. L'affaire de Guelma montre la vanité de cette option contre-nature qui voudrait construire sur un déni de justice. M. H.