Au cours d'un discours émouvant, Xavier Driencourt a évoqué en termes sibyllins l'histoire ainsi que les destins de l'Algérie et de la France en les qualifiant de relations “si imbriquées”, dont les conséquences sont encore aujourd'hui d'une extrême complexité. L'ambassadeur de France et haut représentant de la République française en Algérie, Xavier Driencourt, a rendu un vibrant hommage aux sept moines de Tibhirine, assassinés en 1996, il y a treize ans, par le Groupe islamique armé (GIA), en les qualifiant de symbole de la réconciliation et de la paix entre musulmans et chrétiens. Cette déclaration a été faite lundi soir à la résidence de l'ambassade de France à Alger, lors d'un discours prononcé en l'honneur du mouvement associatif en Algérie, et ce, à l'occasion de la célébration du 150e anniversaire de la bataille de Solferino le 24 juin 1859. Le diplomate, qui a évoqué ce douloureux souvenir en dehors du discours officiel prononcé à l'occasion, l'a-t-il fait en raison des circonstances douloureuses que vit l'Algérie après l'embuscade meurtrière qui a coûté la vie à une vingtaine de gendarmes près de Bordj Bou-Arréridj ? Il faut dire que le monastère de Tibhirine, dans la wilaya de Médéa, est devenu depuis le tragique événement de la mort des sept moines trappistes un lieu de pèlerinage pour plusieurs responsables français qui se rendent en Algérie, y compris le président Sarkozy lors de sa visite d'Etat en décembre 2007. En tout cas, Xavier Driencourt a tenu à marquer l'engagement des Algériens dans l'ensemble des causes humanitaires, même celles menées par la France coloniale lors de la bataille de Solferino, où près de 350 000 soldats, des Français, parmi eux des soldats venus d'Algérie, des Italiens et ceux venus de l'empire d'Autriche, se sont affrontés dans la bataille la plus massive d'Europe qui a causé pas moins de 40 000 morts. “Le hasard a voulu que cet affrontement devienne à la fois l'un des symboles de l'horreur de la guerre moderne et le point de départ du droit international humanitaire”, a souligné le diplomate. Après avoir énuméré les étapes qui ont conduit à la naissance de la Croix-Rouge internationale, de la première convention de Genève jusqu'à la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge qui vient de fêter ses 90 ans en présence du président Nicolas Sarkozy en mai dernier à Paris, l'ambassadeur de France en Algérie revient sur l'histoire contemporaine des “peuples d'Afrique et d'Asie qui ont consenti tant de sacrifices pour leur indépendance nationale, notamment ici en Algérie”. “Que cette journée de célébration de l'esprit de la Croix-Rouge soit pour moi l'occasion de saluer le travail réalisé, il y a cinquante ans, malgré un manque cruel de moyens et des risques quotidiens par les hommes et les femmes du Croissant-Rouge algérien qui vinrent en aide aux blessés de l'ALN, aux populations réfugiées au Maroc et en Tunisie et aux prisonniers”, a ajouté l'ambassadeur qui n'a pas manqué de rendre hommage à l'action du CICR en Algérie et en France métropolitaine de 1955 à 1962. “Pendant cette période, le CICR a contribué à améliorer le sort de prisonniers et détenus algériens, civils et militaires, de prisonniers français aux mains de l'ALN, mais aussi de nombreuses populations civiles victimes des événements, qu'il s'agisse de réfugiés, de regroupés ou de rapatriés, sans parler des drames des personnes disparues dont les familles continuent aujourd'hui sur les deux rives de la Méditerranée à porter le deuil”, a encore ajouté l'ambassadeur. En évoquant les nouvelles menaces qui pèsent sur l'humanité entière, dont les changements climatiques et la crise économique mondiale, qui deviennent le flot des personnes vulnérables estimé aujourd'hui à quelque 2,6 milliards de personnes, soit la moitié de la population mondiale, le diplomate a indiqué que la France a entrepris plusieurs initiatives importantes afin de venir en aide aux victimes de Gaza jusqu'au Darfour en passant par le Cambodge. Le diplomate a également tenu à rendre un hommage appuyé à l'ensemble de la communauté humanitaire d'Algérie, aux nombreuses organisations et associations algériennes et étrangères qui “œuvrent à l'amélioration des conditions de vie éprouvantes des réfugiés sahraouis de Tindouf, avec notamment le soutien de l'agence européenne Echo, du HCR, du PAM et de la coopération espagnole”, sans oublier “tous ceux qui ont intervenu aux côtés de la Protection civile algérienne lors des inondations de Bab El-Oued, en 2001, du terrible séisme de Boumerdès en 2003 ou des inondations de Ghardaïa en 2008 pour soulager les populations sinistrées”. Xavier Driencourt a indiqué, d'autre part, que si, en 2008, 260 agents humanitaires ont été tués, kidnappés ou gravement blessés à travers le monde, en Algérie, la communauté humanitaire a également été endeuillée. Le 8 mai dernier, un accident de la circulation près de Tindouf a coûté la vie à trois humanitaires dont deux femmes, annonce l'ambassadeur, qui salue la mémoire de Raya Lembaret Zeroug, une infirmière sahraouie qui laisse derrière elle “une famille nombreuse et inconsolable”, de Tiphaine Maury, française de 22 ans, qui “avait décidé de rapprocher des écoliers français et sahraouis dans le cadre d'une association (Quand l'Occident rencontre le désert)”, et du Dr Patrick Pochet, chargé de la coopération internationale à la mairie de Nanterre, qui “était venu à Tindouf pour préparer les colonies de vacances en France pour des enfants des camps”. L'ambassadeur, qui a qualifié les destins des peuples algériens et français de “si imbriqués”, en parlant de la relation qui lie les organisations humanitaires et de défense des droits de l'Homme, a rappelé le lancement, en 2007, par son pays, du programme “concerté pluri-acteurs Algérie”. Ce programme, qui a déjà permis de soutenir des dizaines de projets d'associations des deux rives de la Méditerranée dans le domaine de l'enfance et de la jeunesse, renforce, selon l'ambassadeur, “les projets soutenus chaque année par le service de coopération et d'action culturelle de l'ambassade de France en faveur des populations vulnérables et de défense de l'environnement”. Revenant sur l'histoire du droit humanitaire des liens historiques entre l'Algérie et la France, le diplomate conclut son discours par le parcours de Henri Dunant et Florence Nightingale, la fondatrice de l'infirmerie moderne. S'en souvient-on ? s'interroge l'orateur, avant de narrer : “L'un dut faire face à la ruine de sa société en Algérie, qu'il avait rapidement délaissée pour s'occuper de son œuvre humanitaire, et vécut plus de trente ans dans le dénuement et l'oubli, notamment en France où il fut aux côtés de la population de Paris ; l'autre contracta aux côtés des blessés britanniques de la guerre de Crimée une maladie rare qui la handicapa pour le restant de sa vie.” C'est dire toute la complexité des relations entre l'Algérie et la France. Car entre les engagements des uns et les reniements, voire les massacres des autres, l'histoire contemporaine des deux pays n'en finit pas et n'en finira probablement pas de connaître les rebondissements les plus spectaculaires en attendant que se fasse le devoir de mémoire, et que la page du passé soit définitivement tournée.