Le long métrage d'une heure et demie, Heremakono (en attendant le bonheur), du réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako, a été projeté avant-hier soir à la salle Ibn Zeydoun (Oref). Lauréat du Yennenga d'Or lors de la 18e édition du mythique Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) en 2003, et Prix de la critique internationale à Cannes en 2002, Heremakono, c'est l'histoire d'individus qui rêvent de soleil au milieu de la nuit qui entoure de toutes parts Nouadhibou : une petite ville de pêcheurs ; un lieu de transit ensablé et arrimé à une presqu'île de la côte mauritanienne. À Nouadhibou débarque le jeune Abdellah qui évoluera dans la ville en attendant son départ pour un horizon meilleur : l'Europe ; cependant, il y retrouve sa mère. Ne pouvant communiquer dans la langue locale, il tente de comprendre ce qui l'entoure et de déchiffrer les codes de ce petit coin de terre, si isolé, mais salvateur. Il rencontre d'abord Nana, une jeune femme belle et sensuelle qui tente de le séduire. Il rencontre également Makan qui, tout comme lui, rêve de l'eldorado nommé Europe ; le chemin d'Abdellah croise aussi celui de Maata, un ancien pêcheur reconverti électricien, ainsi que l'apprenti de ce dernier, Khatra. Grâce à Khatra, Abdellah apprend la langue de la ville de Nouadhibou et parvient à rompre le silence dans lequel il s'est enfermé. Ces protagonistes pleins d'espoirs et de rêves, placés dans une situation d'attente… d'un hypothétique bonheur, ont tous le regard rivé sur l'horizon. Tourné par Abderrahmane Sissako avec beaucoup d'humour, Heremakono est un film à la fois grave et aérien. De plus, le message du film est doublement poignant puisqu'il s'adresse au Nord et au Sud. Le cinéaste parle au Nord en lui montrant avec un grand réalisme que les milliers de harraga qui traversent les mers bravent les dangers et sacrifient leur vie ne peuvent être ignorés. D'autre part, Abderrahmane Sissako rappelle au Sud que son regard trop souvent tourné vers le Nord ne peut résoudre ses problèmes. Cette jeunesse qui sacrifie sa vie pour une existence meilleure est une perte pour les pays du sud eux-mêmes. L'idée du film est également très intéressante puisque le réalisateur développe la notion de transit, c'est-à-dire s'exiler pour un temps dans une région, d'y vivre et d'apprendre ses us et coutumes. L'exil avant l'ultime voyage est l'idée maîtresse du film. Par ailleurs, le phénomène des harragas a fait couler beaucoup d'encre et n'a laissé personne indifférent. Toutefois, l'intérêt dans la réception d'une œuvre artistique est son traitement, c'est-à-dire malgré tout ce qui a été dit, filmé, écrit, photographié, ce thème demeure d'actualité si on le regarde sous un jour nouveau, sous un autre angle. Des scènes bouleversantes ont participé à faire du film de Abderrahmane Sissako, une œuvre d'art, notamment la scène où la mer rejette sur les rivages de Nouadhibou un corps, ce qui symbolise le flottement de nos sociétés entre un Sud compliqué qui réprime les siens et un Nord sophistiqué qui n'assume pas son influence sur le reste du monde. Ce paradoxe est clairement évident dans Heremakono, illustrant parfaitement cette quête du bonheur, et ce mal-être qui engendre une violence à la fois compréhensible mais dévastatrice. Au cœur de cette discorde et avec un cœur plein de tourments, Abdellah, le personnage principal, est un exemple parmi tant d'autres, qui ont un jour choisi de rechercher un semblant de liberté, au prix de leur vie. Ce film, à bien des égards, pourrait se résumer dans une phrase, celle de Yasmina Khadra dans l'ouvrage de photographies, la Nuit sur la figure, de Kays Djilali. Khadra écrit : “Ils ont la nuit sur la figure, et le blanc des insomnies pleins les yeux. Et s'ils semblent incarnés toutes les misères du monde, ils ne rêvent que de soleil jusque dans le cœur des ténèbres.” D. S.