L'Algérie a abrité du 5 au 20 juillet un événement continental historique : le 2e Festival culturel panafricain, après avoir été l'initiatrice de celui de 1969. 15 jours durant, la capitale a abrité un grand nombre de manifestations et le mot est faible. En fait, les organisateurs et malgré quelques couacs, notamment les mesures de sécurité draconiennes, ont réussi un exploit : faire d'Alger une plaque tournante de l'Afrique. Depuis le mois de juin dernier, Alger commençait à se mettre petit à petit à l'heure africaine, à travers notamment l'organisation de l'édition africaine du 2e Festival international de la littérature et du livre de jeunesse, mais à travers également les affiches et les spots publicitaires, sans oublier les indénombrables conférences de presse qu'a animées la ministre de la Culture, Khalida Toumi. Au cours de celles-ci, la ministre n'a de cesse de rappeler la vocation africaine de l'Algérie et les qualités de ce Festival panafricain sur les Algériens. Mais tout le monde semblait indifférent, jusqu'au 4 juillet, le jour de la parade. Ce jour-là, les Algériens ont réellement senti la présence de l'Afrique. Ce sentiment, ô combien bénéfique, a également été conforté par le spectacle d'ouverture, conçu et chorégraphié par Kamel Ouali, qui s'est appuyé sur trois axes, à savoir l'esclavage, la colonisation et la modernité pour élaborer un spectacle grandiose auquel ont participé de grandes figures de la musique dans le monde, notamment Youssou N'dour, Warda El-Djazaïria et Césaria Evora. Dès le lendemain et les jours qui suivirent cette inauguration officielle, le marathon a commencé. En effet, de somptueuses expositions se sont tenues ; nous avons accueilli notre ancêtre Lucy (ou sa copie ?) ; un grand nombre de colloques et de conférences ont été organisés ainsi que des projections de films africains, des représentations théâtrales de troupes du continent et des concerts. Plusieurs places algéroises se sont transformées en salles de spectacle à ciel ouvert ; et les Algériens, privés pendant longtemps de ce genre de manifestations, ont montré leur engouement et leur intérêt dès les premiers jours du Panaf. D'ailleurs, une semaine après le début de la manifestation, on a recensé près d'un million et demi de spectateurs, toutes manifestations confondues. Mention spéciale donc au public algérien pour sa mobilisation et son soutien à ce Festival culturel panafricain. Les Algériens, qui portaient l'Afrique dans leur cœur, trop souvent meurtris par tant de catastrophes, ont porté ce 2e Panaf. Cependant, le festival a été traversé par de nombreux moments difficiles, notamment au niveau des mesures de sécurité draconiennes — moins la rigueur — qui ont été appliquées durant ces 15 jours. Par exemple, la plus grande scène d'Alger, l'esplanade de Riadh El-Feth, a été compartimentée de sorte qu'il y ait un espace pour les jeunes, un autre pour les familles et un autre pour les invités. Ce qui est très bien, mais ceci n'a pas empêché quelques incohérences et inégalités, comme les personnes qui accédaient aux coulisses sans badges ou alors l'isolement des invités africains des journalistes. De plus, ce qui a été le plus embêtant, c'est le fait qu'il n'y ait pas d'interlocuteurs. Dans n'importe quelle scène, on peut passer la soirée à chercher désespérément un responsable sans jamais le trouver. Chacun gère à sa manière : cela va de l'agent de sécurité au policier, en passant par les accompagnateurs et les guides. Ces derniers ont tellement traumatisé les invités que certains ne pouvaient faire un pas sans demander l'autorisation. À ce propos, les journalistes africains, logés à l'hôtel El-Aurassi, ont surnommé l'hôtel Guantanamo. Avant-hier soir, lors de la soirée à l'esplanade, nous avons rencontré deux artistes congolais, présents à Alger dans le cadre du “Panorama du cinéma africain”. Nous leur avons demandé leur avis sur les concerts et ce qu'ils pensaient des soirées, et eux de répondre : “On n'a pas vu grand-chose parce qu'on a eu un problème de transport. En fait, il n'y a pas de bus qui partent vers l'Esplanade.” De leur côté, les jeunes techniciens algériens, qui se chargent d'organiser les concerts, nous ont dit que leurs employeurs n'assuraient pas leur transport après les concerts. Or, ces techniciens terminent généralement leur travail aux environs de 4h du matin. En fait, nous avons encore beaucoup de choses à apprendre dans le domaine de l'organisation et de la communication, puisqu'aucune initiative de rapprochement n'a été tentée, et toutes les démarches ont été individuelles et improvisées. Nous avons également eu de grosses pointures dans le monde de la musique, et ce volet d'ailleurs est le seul à avoir drainé le plus de monde. Seul regret : la non-participation de l'Orchestre national de Barbès, pourtant si célèbre et tant aimé. En somme, le Festival culturel panafricain, c'est un journaliste anglophone qui arrive à communiquer avec un journaliste algérien ; c'est une femme voilée qui discute avec une Africaine ; c'est aussi un groupe de danseurs qui apprend aux jeunes Algériens à se déhancher sur les rythmes ancestraux de leur pays ; c'est aussi et surtout Youssou N'dour, Ismael Lo et Salif Keita qui ont fait danser les jeunes et les moins jeunes, les hommes et les femmes, les voilées et les non-voilées sur des airs puisés des fins fonds de l'Afrique. Cette Afrique perdue, oubliée, tant recherchée mais retrouvée grâce à ce Panaf qui aura permis aux Algériens de retrouver une part d'eux-mêmes, de se réconcilier avec leur part d'africanité et de regarder un peu ce qui les entoure ; car à force de trop regarder vers le haut, on se croit unique au monde et seul dans son malheur et dans ses blessures. Nous avons constaté durant ces 15 jours que ce que nous vivons quotidiennement est partagé par l'ensemble du continent et qu'il faut rêver ensemble pour construire un meilleur avenir, ensemble ! On parle du Festival culturel panafricain au passé, mais le présent pari de l'Algérie est de continuer sa politique d'ouverture sur l'Afrique, et de ne pas s'arrêter là. Tout commence demain pour l'Algérie… Sara Kharfi