Le public locarnais s'est laissé bercer par les premières projections, les organisateurs centrent leur discours, à la limite de la justification, sur la particularité de leur manifestation, parmi les plus vieilles du genre, Cannes par rapport à ses concurrents, à savoir Venise et Berlin, le vieux maître de l'animation japonaise Isao Takahata reçoit un Léopard d'honneur alors que les mangas déferlent sur les villes du Lago Maggiore. C'est devant une Piazza Grande, bondée et pleine d'émotion, que le célébrissime cinéaste japonais de 73 ans, avec beaucoup d'humilité et de modestie, est apparu pour recevoir le trophée d'honneur qui récompense sa riche et prolifique carrière d'auteur de mangas qui déferlent sur la ville. D'une part, beaucoup d'enfants du monde, Algériens compris, connaissent plus ses films que son nom. Oui, il a bercé les enfants du monde entier avec ses chefs-d'œuvre comme Pompoko (1994) ou encore Heidi, une série télévisée des années 1970, de 52 épisodes de 30 minutes chacun, inspirée des livres de la Zurichoise Johanna Spyri. D'autre part, les rues, les restaurants et les cinémas ne désemplissent pas. Chaque soir, sous les étoiles, la météo aidant, plus de 7 000 spectateurs se rassemblent sur la Piazza Grande pour regarder, apprécier et applaudir les films et les cinéastes. Mais, force est de constater que les organisateurs sont sur la défensive. On dirait qu'un doute ou une peur les habitent. Depuis le discours de l'ouverture, le besoin de souligner la particularité du festival de Locarno par rapport à ses rivaux, comme Cannes, Venise et Berlin, et depuis deux ans, Zurich, est pressant. Ces derniers, contrairement à Locarno, longtemps taxé de festival rouge, privilégient les stars. La pression des médias a même poussé les responsables à improviser des discours ayant provoqué des déclarations qui risquent de nuire au Festival dans les milieux du cinéma. “À quoi sert-il d'inviter des stars qui n'ont rien à dire ?”, a affirmé le président du Festival, Marco Solari, en réponse à une intervention d'un journaliste qui soulignait l'absence de stars. Alors une question s'impose : pourquoi autant de discours sur la particularité de la manifestation tessinoise quand la rue la suit et l'applaudit ? Du point de vue de la fréquentation, Locarno n'a pas à rougir. Ceci dit, la réponse est probablement à chercher dans le virage que Locarno s'apprête à prendre. Après quatre ans de règne, le directeur artistique Frédéric Maire quitte le navire à la fin de ce mois et le Français Olivier Père s'apprête à pendre les commandes. Un tournant se dessine. Et les tournants suscitent toujours quelques inquiétudes. En attendant, le Léopard continue de tenir tête au Lion vénitien et à l'Ours berlinois et ce, sous l'ombre de la Palme cannoise. T. H.