Imbroglio, c'est le mot qui qualifierait le mieux la première élection présidentielle au Gabon, où n'apparaît plus le nom de Omar Bongo Ondimba, décédé au mois de juin dernier en Espagne. Une préparation approximative et de nombreuses irrégularités ont été régulièrement dénoncées avant et pendant la campagne électorale par les candidats de l'opposition, qui ont été nombreux à demander le report du scrutin, sans succès. Quarante-huit heures avant le jour J, André Mba Obame déclare que 11 prétendants au fauteuil présidentiel se sont retirés et soutiennent sa candidature, afin de faire front au poulain du pouvoir, Ali Bongo Ondimba, fils du défunt président. Quelques heures plus tard, plusieurs d'entre eux démentent s'être ralliés à l'ancien ministre de l'Intérieur, et seuls cinq d'entre eux confirment. On passait alors de 23 prétendants à 18. Le jour même du scrutin, dimanche, alors que certains bureaux de vote n'ont ouvert qu'à midi, faute de matériel et d'agents électoraux, l'ancien premier ministre, Zacharie Myboto, jette l'éponge sans donner de consigne de vote, estimant que le scrutin n'avait aucune chance d'être propre et crédible. En dépit d'une organisation cafouilleuse et la présence suspecte de militaires autour des centres de vote, situés dans des quartiers ouvertement hostiles à Ali Bongo, les électeurs se sont mobilisés et aucun incident grave n'a été relevé, sinon la tentative de lynchage d'une personne qui tentait de voter alors qu'elle était soupçonnée d'être de nationalité ghanéenne. Mais, la tension était insoutenable et la peur de troubles postélectoraux réelle dans les rues de la capitale. Les raisons en sont nombreuses : suspicion de fraude en faveur du candidat du régime, qui a promis par ailleurs ne tolérer aucun trouble, déclaration du candidat Pierre Mamboundou, l'opposant historique à Omar Bongo, selon lequel tout un dispositif était prêt pour contester les résultats, rentrée au pays du Dr Daniel Mangara, opposant résidant aux Etats-Unis et dirigeant le mouvement “Bongo Doit Partir – Gabon Nouveau”, appel d'un groupe d'intellectuels à éviter de sombrer dans la violence, intervention du président de la République par intérim à respecter le verdict des urnes, etc. Dans la soirée de dimanche, après la fermeture des bureaux de vote, la chaîne de télévision TV Plus, appartenant à l'un des candidats favoris, André Mba Obame, a mystérieusement cessé d'émettre, après une visite d'une délégation du ministère de la Communication, aggravant la suspicion de fraude au profit du fils Bongo. Puis, coup sur coup, Pierre Mamboundou, Ali Bongo Ondimba et André Mba Obame, les trois favoris du scrutin, avec Zacharie Myboto qui s'est retiré, se sont unilatéralement déclarés vainqueurs, chacun de son côté, sans que nul d'entre eux n'étaye ses propos de données tangibles. L'attitude des trois favoris visait sans doute à maintenir leurs sympathisants en état de mobilisation et à faire pression sur la commission électorale, mais la confusion et la tension ont atteint leur paroxysme et le lendemain, lundi, Libreville était ville morte. Les magasins ont baissé rideau pour la plupart d'entre eux, beaucoup de ses habitants ont préféré ne pas se rendre à leur travail et se murer chez eux, tandis que la présence militaire et policière était ostentatoirement renforcée dans les rues de la capitale. Dans la foulée, l'ambassade de France a discrètement demandé à ses ressortissants de ne pas quitter leurs domiciles. L'intervention télévisée du président de la commission électorale, censée atténuer les tensions, n'aura fait que les exacerber. Visiblement mal à l'aise, il a déclaré que les résultats définitifs seraient rendus publics mercredi, mais il a refusé de donner la moindre indication sur les résultats partiels. Au moment où Ali Bongo menace en affirmant qu'il n'y aura pas de “deuxième tour dans la rue”, Zacharie Myboto apporte son soutien public à André Mba Obame qui jure ne pas se laisser “voler sa victoire”, le quotidien français Ouest France, évoquant une source de la Commission électorale même, affirme que Pierre Mamboundou, qui réfléchit déjà à haute voix sur la configuration de son gouvernement, serait le vrai gagnant, à l'issue des résultats partiels disponibles lundi. Il serait crédité de 40% des voix, suivi de Mba Obame avec 28% et d'Ali Bongo avec 26%. Tous les observateurs sont à peu près unanimes pour affirmer qu'il n'y a pas eu de fraude ostensible dans les bureaux de vote et que le dépouillement des bulletins s'est fait dans des conditions acceptables. Mais, il reste une étape cruciale où la manipulation est possible. C'est l'armée qui est chargée d'acheminer les urnes au siège de la Commission électorale et tout peut arriver au cours du transport. Surtout lorsqu'on sait que le candidat Ali Bongo, qui a quitté ses fonctions ministérielles, l'espace de la campagne électorale, a repris son poste de ministre de la Défense. Le docteur André Mangara, convaincu de la volonté de frauder du pouvoir et du profond désir de changement des Gabonais, est très actif depuis son retour au pays. Lundi, il a transmis aux deux opposants favoris une plate-forme de résistance pacifique dans laquelle il les exhorte à se rapprocher et à respecter la décision des urnes si l'un d'eux sort vainqueur. Par contre, si Ali Bongo est proclamé gagnant, il propose rien moins qu'une espèce de révolution orange à l'ukrainienne, jusqu'au départ du clan Bongo du pouvoir. Sa plate-forme a été également transmise à la Commission électorale, au Conseil constitutionnel et à l'ensemble des candidats.