On revient rarement indemne de Bouhanifia. Car, en quittant cette petite et coquette ville de l'ouest du pays, on est à jamais envoûté par son charme ensorcelant et hypnotiseur. Pourtant, elle ne dispose ni d'imposants buildings, ni de beaux et grands jardins et encore moins d'attrayants lieux de loisirs. Et alors ? La simplicité et la sainteté des plaisirs qu'elle procure sont, à coup sûr, pour quelque chose dans cet insoupçonné pouvoir de séduction dont elle dispose. Il faut parcourir une vingtaine de kilomètres, à partir du chef-lieu de la wilaya de Mascara, pour rejoindre Bouhanifia. Arrivé à la gare des voyageurs, on est assailli et tarabusté par une flopée de clandestins avec leurs «agressifs» et trop insistants «Aya el hammam». Alors qu'une place dans un taxi collectif revient à 40 DA à peine, les clandestins, eux, la proposent bien sûr à… 300 DA. Il faut dire qu'à Bouhanifia les moyens de transport manquent quelque peu. À la mi-journée surtout. Pour s'y rendre, il faut d'abord traverser de larges plaines découpées par une route bordée d'oliviers. Puis une multitude de monticules pelés avant de faire son entrée à Bouhanifia. Elle est entourée de toutes parts par des monts aux sommets coiffés d'une touffe peu fournie d'arbres. En ce mois d'août, une chaleur torride règne dans cette bourgade implantée sur une sorte de couloir plat où on s'adonne aussi à l'agriculture. En y mettant les pieds, la première chose qui attire le regard, ce sont ces cruches entreposées sur un talus sur le côté gauche de la route. En haut une fresque de l'Emir Abdelkader, un enfant de la région, natif de Guietna. À quelques mètres de là, juste à côté de la station de taxis trône un portrait géant du président de la République. Deux policiers en faction veillent. Cette contrée recèle quelque chose de bienfaisant et de thérapeutique. Ses eaux miraculeuses, en effet. Une véritable manne céleste. Des eaux radioactives allant de 40 à 60 degrés, jaillissant d'une dizaine de sources, très indiquées pour les maladies rhumatismales et osseuses. Et qui sont canalisées et gérées par la station thermale sise au centre-ville. Un bijou qui constitue l'attraction majeure des visiteurs. La plus grande station thermale d'Algérie C'est la plus ancienne et la plus grande station thermale d'Algérie. Et même d'Afrique. Du temps de la colonisation on la surnommait la capitale thermale de l'Afrique du Nord. «Sa renommée est établie depuis la nuit des temps», s'enorgueillit son directeur, M. Derab Belkacem. Les Américains qui y avaient séjourné lors de la Seconde Guerre mondiale, de 1942 à 1943, ont gardé de très bons souvenirs. “Certains nous ont même contactés”, précise-t-il. Des hôtes de marque comme les présidents algériens, Abdelaziz Bouteflika et Houari Boumediene, s'y étaient rendus. D'autres comme les anciens présidents de la Mauritanie (Ould Dadda), du Mali (Moussa Traoré) y avaient même séjourné à la fin des années 1970. C'est aussi le point de ralliement, quand il y a de la place, de certaines équipes de football. C'est dire la bonne réputation dont jouit ce complexe thermal. Il comprend 4 hôtels de différentes catégories de 3 à 1 étoiles (Le Grand Hôtel, Béni Chougrane…), un établissement thermal, une cafétéria, une salle d'animation, une piscine... Pour M. Derab, les prix proposés par son établissement “sont très abordables. La chambre la plus chère avec une suite et une pension complète coûte 5 000 DA. La nuitée revient à 500 DA”. La clientèle venait des quatre coins d'Algérie. Et de toutes les catégories sociales. Il y a d'abord les curistes. Il y a ceux qui viennent par le biais de la Cnas pour un séjour de 21 jours. Ceux-là paient un supplément puisque leur prise en charge n'est pas totale. Il y a ceux qui sont parrainés par les œuvres sociales des sociétés comme Sonatrach, Naftal, l'éducation…) pour un séjour d'une semaine. Il y a, enfin, la clientèle libre qui devient de plus en plus importante. Elle vient pour des séjours d'une à deux semaines. Un équipement moderne importé de France La station est dotée d'un matériel sophistiqué importé de France en 2003. “Tout a changé”, s'est émerveillée avec un petit sourire malicieux une vieille venue d'Oran. “Pratiquement chaque année je viens ici. C'est formidable.” Selon le directeur de l'établissement, quelque 10 milliards de centimes sont investis depuis 1999, date de sa prise de fonction. “Avant 1999, à cause de la situation sécuritaire, on a failli mettre la clé sous le paillasson. Mais depuis 1999, l'activité a repris de plus belle. D'année en année, le nombre de visiteurs est en continuelle hausse.” Et depuis deux ans des travaux de rénovation sont engagés. “On ambitionne de faire d'elle une grande station de même niveau que celles existant en France”, a-t-il confié. Des projets ? Outre l'agrandissement de la station, la démolition en septembre prochain du bain de deuxième choix ; la direction compte installer une quinzaine de bungalows ainsi que la rénovation des bains traditionnels. Virée dans la station où on subit des cures. Le hall est plein de monde. Au milieu, un jet d'eau. Un kinésithérapeute et un responsable de la station ont eu l'amabilité de nous faire visiter les lieux, à savoir le bain 1re classe et le bain simple. En nous montrant fièrement les différents équipements dont dispose l'établissement. Dans les couloirs, dans les cabines et dans une piscine des patients allant çà et là ou prenant des bains. La vapeur dégagée par l'eau chaude rend l'atmosphère irrespirable. Rencontrés à l'intérieur, certains curistes, à l'image de cet enseignant dans un CEM de Laghouat, se sont pleins de la longue attente pour se baigner. “Certes les soins sont bons, mais il y a le nombre d'équipements qui est en deçà de la demande. Je suis ici depuis 7 h du matin. Il est 10 heures, et mon tour n'est pas encore venu. Sur les 7 machines destinées au bain en gaz carbonisé, seules 3 fonctionnent”, s'emporte-t-il. Un directeur d'un CEM de Boussaâda, tout en trouvant la cure bonne, estime que la nourriture servie au restaurant de l'hôtel Béni Chougrane laisse à désirer. “C'est toujours la pomme la de terre, au déjeuner comme au dîner. Pour le dessert parfois on nous donne du fromage. Pour moi les services sont en deçà du coût”, s'est-il indigné. Pour un jeune de Sour El Ghozlane, tout est en rose. “Je suis ici depuis samedi pour une cure. Dans l'établissement comme à l'hôtel tout va bien. C'est mon deuxième séjour après celui de l'année dernière”, se réjouit-il. Un autre, un jeune commerçant de Boudouaou, abonde dans le même sens. “C'est merveilleux. On s'est bien reposé. Je suis ici pour un séjour de 4 jours. Le plus important, c'est que tu peux laisser ta voiture dehors devant l'établissement et personne n'y touche.” Mais tous ceux qu'on a approchés s'accordent sur deux choses. L'affabilité du personnel d'abord. Ensuite, et surtout, l'efficacité de la cure. Mais ça se fait sur prescription médicale. Virée dans le bureau du médecin-chef, le docteur Belkebir Larbi : “On ne peut recevoir un patient qu'après confection d'un dossier médical où seront mentionnées les indications et les contre-indications de la cure. Celle-ci porte sur deux grands axes : l'affection rhumatismale et l'affection ORL et respiratoire.” La vertu thérapeutique de ses eaux L'encadrement médical des curistes est assuré par 2 médecins thermalistes ayant suivi une formation en France, 3 kinésithérapeutes, 20 auxiliaires thermaux (baigneurs, masseurs) formés sur le tas et une infirmière. “95% des malades sont atteints de l'arthrose, une maladie dégénérative des os. Généralement, ce sont des vieux. Et 80% d'entre eux sont des assurés sociaux”, a-t-il expliqué. Et de la vertu médicinale des eaux de la station ? “C'est confirmé sur le plan médical. C'est une eau à but thérapeutique”, atteste-t-il. Aussi lors du 1er semestre 2004, quelque 322 038 bains et 49 260 soins sont-ils enregistrés par la station. Rien que pour le mois de juillet quelque 60 000 bains sont réalisés. Paradoxalement, c'est en période estivale que cette ville thermale reçoit le plus grand nombre de visiteurs. Ni la chaleur torride ni l'atmosphère étouffante des bains ne dissuadent certains Algériens pour s'y rendre, alors que beaucoup préfèrent passer leurs vacances au bord des plages. C'est parce que c'est la période des grandes vacances ? Peut-être. Surtout qu'on y vient souvent en famille, et c'est pendant l'été que tous les membres se réunissent. Aussi les fins d'après-midi, les ruelles de la ville, la rue du 1er-Novembre surtout, grouillent-elles de monde. On y rencontre des gens de tout âge. Des vieux et des vieilles, des hommes et des femmes d'un certain âge. La cité est globalement assez propre. On flâne çà et là jusqu'à une heure tardive du soir, respirant à pleins poumons l'air frais ô combien bienfaiteur. Des jeunes filles se déhanchent avec des tenues moulantes sans que personne ne trouve à redire. Plutôt si. Elles suscitent des grincements de dents chez certains puristes. Entre le complexe thermal et la maison des jeunes est implanté un marché. Des trabendistes y ont érigé des bicoques de fortune où ils vendent de tout : le nécessaire pour le bain (shampoing, serviettes, parfum…), des habits, de la lingerie féminine, des bijoux, des jouets… Il est toujours pris d'assaut. Il est difficile de se frayer un chemin. Juste en bas, un oued, alimentant le barrage de Sidi Slimane. Le rivage, couvert d'un tapis de gazon, est la grande attraction des visiteurs. Des femmes et des hommes y prennent place, discutant plaisamment. On ne se soucie guère des odeurs nauséabondes de l'eau de l'oued. Le moment est aux bonheurs tenus. Un jeune photographe a eu la lumineuse idée de ramener un cheval sur le dos duquel on prend des photos, un fusil à la main et habillé à la traditionnelle. On s'y bouscule ! A quelques mètres du rivage, une haie en dur contre laquelle s'adossent des curieux. En traversant le pont, de l'autre côté de la rive, une buvette installée dans un jardin. Des tables sont installées sur du gazon au pied des arbres. Il fait très frais les après-midi. On s'y rend pour déguster des glaces et des rafraîchissants. L'activité commerciale en baisse cet été Aussi ce “rush” de visiteurs ne peut ne pas avoir d'incidences sur l'activité commerciale. Le directeur du complexe thermal a toutes les raisons du monde de dire que c'est son établissement qui “fait vivre la ville”. Car à Bouhanifia, on vit du tourisme. Et par ricochet du commerce. Pas une usine dans la région ! Il y a au moins une cinquantaine d'hôtels — certains avancent le chiffre de 80 en incluant les hôtels informels —, et plus d'une vingtaine de restaurants. Sans parler des cafés, des crémeries…L'été est la période où on travaille le plus. Or ce n'est pas le cas cette année. A entendre les commerçants de la ville, il y a baisse d'activité. Les hôteliers, les restaurateurs, les crémiers… tous se plaignent. “Pratiquement on n'a pas travaillé le mois de juillet. Ce n'est que depuis le début du mois d'août, avec l'arrivée timide des touristes, qu'on s'est activé un peu. Mais l'année dernière est de loin meilleure”, regrette ce jeune gérant d'une crémerie. “Cette année l'activité a baissé d'au moins 20%. En août dernier, il n'y avait pas où mettre les pieds tant il y avait du monde”, renchérit le gérant d'un magasin d'habillement. Aussi beaucoup d'entre eux évoquent-ils avec une pointe de nostalgie le temps où on érige des tentes dehors, à la station de taxis, faute de disponibilité de chambres à l'hôtel. La raison ? Chacun y va de son explication. Pour certains hôteliers la cause principale du reflux des touristes est le manque d'eau. “A cause de l'absence de l'eau dans les chambres et dans les toilettes, deux familles ont quitté les lieux en une journée”, regrette le réceptionniste de l'hôtel Sidi Kadda. Mais il n'est pas le seul. Un cafetier est du même avis. “Allez comprendre que dans la ville des eaux, il n'y a pas d'eau. On a de l'eau une fois tous les 3 jours. Regarder le parterre. Il est sale”, s'indigne-t-il. D'autres avancent l'argument de la cherté de la vie. “Le problème qui se pose est le manque de moyens. Un travailleur moyen ne peut pas se permettre le luxe de débourser 3 000 DA chaque jour. Figurez-vous qu'il y a des gens qui demandent le prix des frites-omelette, d'autres qui chicanent sur la note en exigeant parfois de refaire les comptes”, explique un propriétaire d'un restaurant faisant face à la station de taxis. Abondant dans le même sens, un vendeur d'un magasin d'habillement estime que le prix élevé d'un bain est pour quelque chose dans le reflux des touristes. Certains puristes évoquent, eux, la prostitution et l'implantation d'un bar, le seul à Bouhanifia, au centre-ville. “Comment voulez que des familles viennent ici alors que ces traînées (khmadj) se baladent dans les rues avec des tenues indécentes ?” s'interroge un restaurateur. On dit que la prostitution est pratiquée dans des hôtels et que les maisons de rendez-vous pullulent à Bouhanifia, attirant ainsi une faune d'amateurs de la chair. Qu'en est-il exactement ? “Nous avons mené début 2004 au moins 3 opérations dans ce sens qui se sont soldées par la fermeture de 2 hôtels pour proxénétisme et d'un lieu de débauche. Le travail mené semble avoir donné ses fruits. Aussi, on ne peut pas parler de prostitution proprement dite. Peut-être que, comme partout ailleurs, il y a des hommes qui passent secrètement des nuits dans des hôtels avec des copines, des fiancées ou même des maîtresses. Mais pas de manière étalée. Mais parfois il suffit pour certains de voir une jeune fille en tenue quelque peu légère pour crier à la prostitution”, rectifie un responsable de la police. Qu'en est-il du bar ? Certains disent que les soulards causent des désagréments aux passants et, par conséquent, il serait plus judicieux de le délocaliser vers la périphérie de la ville. Un responsable de la police affirme qu' “il n'y a pas de problèmes avec ce bar portant atteinte à l'ordre public. Certes, il y a parfois des rixes et querelles, mais pas plus. Le propriétaire détient un arrêté de création et un arrêté d'exploitation. Il est en conformité avec la réglementation puisqu'il n'y a ni école, ni mosquée, ni hôpital aux alentours. C'est vrai qu'au début de 2004, il y a eu un problème. Une mineure enceinte y a été hébergée. Le gérant a été sanctionné. Mais depuis que cet établissement est entre les mains d'un autre gérant, ça va mieux”. Pour sa part le gérant du bar, un natif d'Akbou, dit connaître assez bien son métier. “J'ouvre à 10 heures du matin et je ferme à 23 heures. Je suis ici depuis un mois et demi, et rien ne s'est passé. Je me suis entendu avec les responsables de la police sur la protection de l'établissement. J'ai un agent de sécurité et moi aussi je veille au grain. Quand quelqu'un a trop bu on refuse de le servir davantage. Grosso modo l'établissement est assez bien géré, et il n'y a pas de bagarre. J'évite au maximum les problèmes. En outre on fait travailler une dizaine de personnes. On paie les impôts. Donc, c'est tout le monde qui est bénéficiaire.” Ceci dit, la ville est un havre de paix. Ou presque. Tout le monde s'accorde à dire que la sécurité est assurée. Un commerçant de Boudouaou affirme : “Tu peux laisser ta voiture dehors, devant la station thermale et personne n'y touche.” “La situation sécuritaire est maîtrisée. Dans les années 1997-98, au-delà de 17 heures, tu ne pouvais plus emprunter la route reliant Mascara à Bouhanifia”, soutient un responsable de la police. “Pour ce qui est des vols, c'est très limité. On enregistre 2 à 3 petits larcins par mois. Sans plus.” Des mesures de sécurité ne seraient-elles pas prises pour encadrer le rush des touristes ? “Les effectifs ont été doublés, et les congés écourtés. Des policiers en tenue ou en civil sont affectés dans des endroits propices pour surveiller le rush des visiteurs, un barrage à l'entrée de la ville…”, rétorque le même responsable. Aussi Bouhanifia est-elle un véritable havre de paix. Une fausse note toutefois. L'absence de lieux de loisirs. La ville accuse un manque flagrant en structures pouvant rendre le séjour des plus agréables. La salle de cinéma n'a gardé que le nom puisque, depuis belle lurette, elle ne projette plus de film. C'est plutôt une salle de conférence. Certes il y a une maison et une auberge des jeunes dont les travaux sont en voie de finalisation. Le vice-président de l'APC parle d'un projet : l'aménagement urbain de la ville. Pour ce qui est des activités culturelles, il arrive que la direction de la station thermale organise des galas à la salle d'animation dudit complexe. Excepté ces manifestations, c'est le désert culturel. Il y a aussi l'absence d'espaces publics. Ce fonctionnaire de Bouhanifia a bien raison de dire que sa ville est “un trésor qu'on ignore”. “Ici on peut faire un grand pôle du tourisme thermal d'envergure internationale. En outre il y a à 5 km d'ici un grand barrage qui se prête à la création d'un parc d'attractions où on peut s'adonner à des sports nautiques (aviron, voile, pêche…) Il suffit d'oser et de faire preuve d'imagination”. En effet, dans cette petite ville touristique, beaucoup reste à faire pour la rendre plus attrayante. Elle demeure tout de même un trésor qui sait enchanter ses hôtes. A. C. - C'est en 1910 que la commune mixte de Mascara avait fait bâtir l'hôtel des Bains. - En 1923 Bouhanifia a été classée au 4e rang des eaux radioactives de France. - C'est en 1938 que les nouveaux thermes et le Grand Hôtel étaient ingaurés. - Au premier semestre 2004, 30 290 chambres sont louées, 55 994 nuitées sont enregistrées, 322 038 bains sont réalisés en plus de 49 260 soins. - Une semaine avec une pension complète ainsi que des soins revient à 18 000 DA. C'est un prix forfaitaire. Le coût réel d'une telle prise en charge avoisine 40 000 DA.