Après avoir longtemps hésité, les autorités d'Islamabad ont ordonné le lancement d'une offensive sans précédent sur la zone tribale du Sud-Waziristan, longeant la frontière avec l'Afghanistan, et véritable sanctuaire pour les talibans pakistanais et afghans, ainsi que pour les terroristes d'Al Qaïda qui s'y seraient fortement concentrés. L'offensive, déclenchée tôt samedi matin, aurait mobilisé près de 30 000 soldats de l'armée régulière pakistanaise parmi lesquels une unité de commandos d'élite de 500 hommes, chargée d'infiltrer la zone d'opération, où il s'agit de neutraliser un adversaire dont les forces sont estimées à 10 000 hommes lourdement armés et maîtrisant parfaitement un terrain montagneux, particulièrement escarpé et propice à la guérilla. Les forces régulières engagées dans les combats pourraient atteindre, à terme, le chiffre record de 60 000 hommes, ont indiqué certaines sources. Dès le début des opérations, à peine l'armée régulière a-t-elle entamé son déploiement sur les premiers arpents du territoire contrôlé par les talibans, que de violents accrochages ont eu lieu. Dans la journée de samedi on comptabilisait déjà la mort d'au moins cinq soldats sans compter de nombreux blessés. Les attentats menés ces deux dernières semaines par les talibans au cœur même d'Islamabad, ciblant des structures sensibles censées être très protégées, et qui ont fait près de 180 victimes, auraient décidé les autorités pakistanaises à accélérer les préparatifs de l'offensive et à engager les opérations, avec l'espoir avoué de mener à bien l'œuvre de pacification du Sud-Waziristan avant l'arrivée de l'hiver, c'est-à-dire avant que le terrain ne devienne impraticable. La hiérarchie militaire et le gouvernement comptent y arriver au bout de six à huit semaines. Mais, de l'avis de plusieurs experts, ces prévisions pécheraient par excès d'optimisme. Pour justifier leur scepticisme, ils se réfèrent à l'offensive menée dans la vallée de Swat, plus au nord, pour déloger les insurgés qui s'étaient rendus maîtres des lieux, provoquant l'exode de près de deux millions d'habitants et un véritable drame humanitaire. Le terrain était moins difficile, les forces adverses moins nombreuses, moins aguerries et moins bien équipées, mais il a fallu plusieurs semaines de combat sans merci, avec un usage intensif de l'aviation et de l'artillerie lourde, sans pour autant que la région soit entièrement pacifiée, puisque les forces gouvernementales y sont toujours l'objet d'attaques et d'attentats meurtriers. Un nouveau drame humanitaire est également prévisible au Waziristan, entre 80 000 et 100 000 civils ayant déjà fui la région pour éviter d'être pris entre les feux de l'armée régulière et des insurgés. Des dizaines de milliers d'autres s'apprêtent à le faire, mais ils auront à subir une fouille minutieuse et systématique, les forces gouvernementales craignant l'exfiltration, dans la foulée, de combattants talibans et d'Al Qaïda. Le Sud-Waziristan, place forte des talibans pakistanais et de leurs alliés d'Al Qaïda, est situé dans les zones tribales, une région autonome, montagneuse et difficile d'accès, à cheval sur les territoires pakistanais et afghans, où vivent près de trois millions de personnes échappant à tout contrôle des autorités d'Islamabad et de Kaboul. La région a été régulièrement la cible de missiles lancés par des drones américains. C'est à l'occasion d'une de ces attaques, il y a quelques semaines, qu'a été tué le chef taliban, Baïtullah Mehsud. Dans le passé, quatre offensives terrestres ont été déclenchées par l'armée pakistanaise dans la région, mais toutes se sont soldées par des échecs. Aussi le pari du gouvernement d'Islamabad, certes courageux, est-il risqué. Et, craint-on dans les milieux au fait de la situation, dans le meilleur des cas, il pourrait espérer une victoire à la Pyrrhus. M. A. Boumendil