Personnalité forte et incontournable de l'histoire et de la vie politique libanaises, le général Michel Aoun affiche à 74 ans une vitalité de jeune homme. Il nous a reçu dans sa résidence de Rabiah, sur les hauteurs de Beyrouth. Alors que le Liban traverse une énième crise depuis 1975 (le pays se cherche un gouvernement depuis juin dernier), il nous a dit toute sa détermination à construire un Liban démocratique et uni. Optimiste, mais lucide et conscient de la tâche et des devoirs qu'implique cet objectif. Liberté : Depuis les élections législatives de juin, gagnées par la coalition dite “du 14 mars” (Hariri le sunnite, Joumblatt le druze et Geagea le chrétien), le Liban n'a toujours pas de gouvernement. D'où vient le blocage ? Michel Aoun : La démocratie de la majorité élective implique des règles, et le Liban n'a pas de maturité politique suffisante pour se conformer à ce système. Chez nous, quand un parti gagne des élections, c'est pour gouverner d'une façon autoritaire, sans garantir les droits de la minorité perdante, car il n'existe pas au Liban les outils institutionnels nécessaires (Conseil constitutionnel ou autres) pour donner à l'opposition le droit d'agir et de participer. Ici, la formation d'un gouvernement provient davantage d'un consensus que d'une élection à la majorité. Alors nous discutons, mais ces discussions traînent, car l'opposition dont je fais partie exige des garanties. Qu'est-ce qui pourrait faire sortir le pays au plus vite de cette crise ? C'est une crise complexe, où les influences de l'étranger (Syrie, Arabie saoudite, Europe, Etats-Unis, Iran) se mêlent à la corruption généralisée. Mais nous avançons. Nous essayons de résoudre les problèmes en multipliant les rencontres. La machine a eu du mal à se mettre en route, mais peu à peu l'état d'esprit change. Vous vous êtes entendu en février 2006 avec le Hezbollah (ndlr : parti religieux chiite). Pourquoi n'arrivez-vous pas à vous accordez avec M. Hariri ou M. Geagea ? Avec M. Hariri, on discute et on progresse. Il sort de chez moi, vous l'avez sans doute croisé. Avec le parti phalangiste chrétien de M. Geagea, c'est plus difficile. Une partie d'entre eux souhaite la partition du Liban, alors que nous, nous travaillons pour l'unité du pays. Si le Liban n'arrive pas au plus vite à constituer un gouvernement, que peut-il se passer ? Mais nous allons en trouver un. Nous avons aujourd'hui des relations apaisées avec la majorité. Un accord est en train de se dessiner. Beaucoup ne comprennent pas l'alliance de votre parti, le Courant patriotique Libre, (CPL, parti libanais et laïc), avec les religieux chiites du Hezbollah que l'on dit manipulés par l'Iran ? Le Hezbollah est un parti libanais, qui a combattu et vaincu Israël pour libérer le pays. Son objectif de construire un pays uni et autonome rejoint le mien. La communauté chiite représente un tiers de la population totale et beaucoup, mais pas tous, car il existe différentes sensibilités chez les chiites, sont des militants du Hezbollah. Si l'on veut un Liban libanais et uni, on ne peut pas exclure une formation comme le Hezbollah. Une majorité de chrétiens libanais reconnaissent le courage et l'action positive de ce parti. Le Hezbollah ne plaît pas à l'Occident ! Mais ce n'est ni avec l'Europe ni avec les Etats-Unis que l'on bâtira notre pays futur, mais avec les Libanais, tous les Libanais. Pour résoudre la crise gouvernementale, les politiques libanais attendaient beaucoup de la rencontre qui a eu lieu le 8 octobre dernier à Damas entre le président syrien et le roi d'Arabie saoudite. Une fois de plus, le Liban compte sur les autres… Je le déplore et je l'ai dit : la crise doit se régler entre Libanais. Mais tant de partis chez nous dépendent des influences étrangères.