Ni le Conseil de la révolution, ni la justice, ni le ministère de la Défense n'avaient donné suite à ses requêtes. C'est un homme sûr de lui que nous avons rencontré, hier, à Alger. Mahfoudh Saâdaoui se souvient comme, hier, de sa mésaventure de commerçant paisible au 26, rue Didouche-Mourad, dont la vie a basculé dans un abîme à Bouzaréah, à l'aube d'une nuit de l'année 1971. Lorsque quatre hommes habillés en civil, se réclamant de la sécurité, l'ont fait sortir de chez lui, il ne se doutait pas du calvaire qui l'attendait. Le moudjahid qui avait survécu aux atrocités de l'armée colonial était loin d'imaginer que son corps allait être livré aux sévices impitoyablement exercés par un harki aux ordres d'un responsable des services de sécurité de l'Algérie indépendante. “Ils m'ont bandé les yeux avant de me faire grimper sur le siège arrière de leur voiture, et m'ont coincé la tête sous leurs pieds”, raconte M. Saâdaoui. Parvenu sur les hauteurs d'Alger, il a compris la destination vers laquelle il était emmené en entendant le chef du commando intimer des ordres au chauffeur. Le séquestré est conduit à travers un couloir en zigzag avant d'être jeté dans une cellule. L'interrogatoire pouvait alors commencer. En fait, la torture pour contraindre l'otage à se dessaisir de son bien convoité par l'épouse de Yazid Zerhouni, alors personnage important de la très redoutée Sécurité militaire. À l'œuvre, Chagra Abdelkader et le cousin de l'actuel ministre, Ferhat. “Ils voulaient, par le biais de la gégène et autres procédés, me forcer à signer un document de désistement, du local au profit de Mme Boualga Fatiha, l'épouse du ministre”. En fait, ce traitement a été infligé après une perquisition dans le domicile de la victime afin de la délester des documents prouvant l'appartenance du commerce convoité. “Je n'ai pas signé malgré tous les sévices qu'ils m'ont fait subir”, précise Mahfoudh Saâdaoui. Du “trou” où il était emprisonné, il entendait “des cris qui provenaient des cellules voisines et des cris de femmes”. Dans son lieu de supplice, il était tenu sous la surveillance de deux “sbires armés de Mat 49” qui l'accompagnaient même lorsque la nature le pressait. Après un mois de détention, un officier venait lui annoncer sa libération. Les yeux bandés, le supplicié quitte les geôles de l'Algérie fièrement indépendante. Embarqué à bord d'une Renault 16, il était relâché à la rue Didouche-Mourad. La blessure était trop vive et ses séquelles indélébiles. Le traumatisme inguérissable. “Pendant plusieurs semaines, je ne suis pas sorti de chez moi”, se souvient-il. Armé de sa foi de moudjahid, il ne voulait pas renoncer à son bien, malgré le scepticisme de ses proches qui lui déconseillaient une épreuve de force aux risques fatals. Rien n'y fit. Quelques semaines après sa libération, il s'était mis en tête d'alerter les autorités avec l'espoir d'être rétabli dans ses droits. Mais aucun juge ne voulait enregistrer sa plainte. Les requêtes envoyées au ministère de la Justice, au Conseil de la Révolution, et les entretiens avec les responsables de l'armée qui l'avaient convoqué, n'ont pas connu de suite. Même l'intervention du Conseil national des anciens moudjahidine, le 18 février 1972, est restée sans effet. Et c'est en 1990, avec le vent de la pluralité, que Mahfoudh Saâdaoui décidait de porter l'affaire en justice. Il avait sollicité alors, selon lui, les services de Me Ali Yahia Abdennour qui n'avait pas voulu être son conseiller. “Je voyais en lui un défenseur des droits de l'Homme, et je pensais bien qu'il pouvait faire quelque chose”, regrette la victime qui se rabattra alors sur son ami, Me Arezki Ziani. S. R. L'avocat du ministre refuse de parler Maître Belloula, l'avocat-conseil de la famille Zerhouni, refuse de faire un quelconque commentaire, du moins pour le moment, sur les accusations portées par Saâdaoui contre le ministre de l'Intérieur et son épouse. Le même avocat promet, par ailleurs, une riposte proportionnée dans quelques jours. Il évoque la remise aux journalistes dès samedi prochain d'un dossier comportant des preuves irréfutables qui éclaireront l'opinion publique et la presse quant aux présumées fausses déclarations de Saâdaoui. Mardi, le ministre de l'Intérieur avait déclaré à partir de Djelfa que son accusateur actuel a été déjà condamné en 1990 pour diffamation et pour les mêmes allégations. “Le sieur Saâdaoui m'a déjà diffamé en 1990 et il a été condamné pour cela”, avait affirmé Yazid Zerhouni. S. I.