Nul n'est à l'abri de ce trafic qui profite à des réseaux tant internes qu'externes. Les bergers, les petits éleveurs, les transhumants, les fermes familiales et les professionnels des étables font l'objet, chaque jour que Dieu fait, d'attaques, d'agressions et de vol de bétail. À qui profite ce “business” quand on sait que l'Algérie subit de plein fouet les retombées d'un tel trafic ? Comment opèrent les voleurs affiliés aux réseaux nationaux et internationaux, notamment ceux basés au Maroc et en Tunisie ? Mais aussi, où opèrent-ils et où va leur “moisson” ? Eléments de réponse. Plus de 13 000 têtes d'ovins et de bovins subtilisées et pas moins de 712 affaires traitées en moins de dix mois, tel est le bilan issu d'une triste réalité à laquelle font face au quotidien nos éleveurs, dont leur seule ressource fait l'objet de convoitise des voleurs, des réseaux de banditisme et de criminels, des receleurs, mais aussi des responsables d'abattoirs clandestins qui profitent, dès qu'une opportunité se présente, pour s'enrichir. Et les éléments de réponse sont là : près de 750 personnes impliquées dans ce nouveau “business” ont été arrêtées, dont 612 durant les neuf premiers mois de l'année en cours, selon un bilan établi par la cellule de communication que dirige le colonel Abderrahmane Ayoub au Commandement de la Gendarmerie nationale (CGN). Aucune bête n'est épargnée étant donné que les “passeurs” de cheptels ont même tenté de créer une filière parallèle de trafic de chameaux et de dromadaires à partir de la Libye. Et si le vol de bovins ne constitue qu'un pourcentage minime de ce trafic, il est clair que la viande ovine détient le record de trafic puisqu'elle vient en tête du hit-parade avec plus de 90% des cas signalés, tant sur nos bandes frontalières terrestres que sur la voie routière où les services de sécurité ont enregistré des transports illégaux de viande de mouton. Un coup dur pour nos éleveurs, certes, mais aussi pour le marché de la viande qui connaît une flambée des prix à chaque occasion, comme le mois sacré du Ramadhan ou encore des fêtes religieuses. En ce sens, on notera d'emblée que la moyenne de vol de cheptels est de 15 à 20 cas par mois, alors que cette même moyenne est revue à la hausse, soit entre 25 et 30 cas, à l'approche de grands évènements. C'est que les voleurs n'agissent pas seuls — rares sont les cas isolés — à partir du moment où ils travaillent directement avec des maquignons clandestins ou encore des abattoirs qui exercent au noir. Evidemment, ils opèrent au profit de réseaux basés au Maroc, notamment ceux établis au Rif et au sud du royaume chérifien, et en Tunisie. Les statistiques le démontrent : tous les cheptels dérobés à proximité des bandes frontalières terrestres sont acheminés vers ces deux pays voisins où les voleurs empochent des miettes, voire une bouchée de pain, contre une viande d'excellente qualité. Les riverains, dont les liens de parenté sont déjà établis et connus dans ces deux pays voisins, participent activement à l'acheminement des ovins et des bovins subtilisés par la force à leurs propriétaires. Et si aucune wilaya du pays n'échappe à ce phénomène, il n'en demeure pas moins que 80% des cas sont signalés dans les wilayas de Djelfa, Naâma, El-Bayadh, Aïn Defla, Chlef, El-Tarf, Tlemcen, Sétif, Bordj Bou-Arréridj, Laghouat, Souk-Ahras et Oum El-Bouaghi. En revanche, les cas enregistrés en Kabylie, comme dans certaines wilayas du Centre, sont généralement liés à l'abattage et à la vente clandestins de la viande. Premières victimes du fléau, les éleveurs, comme d'ailleurs les simples bergers qui ne vivent que de ce métier ancestral, fruit du produit du terroir, n'ont d'autre choix que de prendre leur mal en patience, et ce, sachant que les plaintes déposées au niveau des brigades territoriales de la Gendarmerie nationale ont facilité le travail aux services de sécurité de retrouver les auteurs et de récupérer le bétail, que ce soit sur les axes routiers ou dans les hangars et autres bicoques où sont dissimulés les cheptels. De la récidive, de la demande de rançon et de la tentative de meurtre Nos éleveurs n'ont pas en face que les méandres de Dame Nature pour tenir bon. En plus de l'épreuve de la sécheresse, de la cherté du foin et de l'aliment de bétail, ils font face, au jour le jour, à l'insécurité. Armés de patience, apaisés par le son de leurs pipeaux dans ces vastes étendues des Hauts-Plateaux, du Sahara ou encore des montagnes, ils résistent aux grandes chaleurs, au froid, au vent, au manque, mais aussi aux maladies qui guettent leurs cheptels, aux soins onéreux de leurs bêtes et, enfin, aux bandes de voleurs, eux armés de bâtons, de barres de fer, d'armes blanches et, souvent, d'armes à feu pour accomplir leur forfait. Hormis les rares vols effectués en l'absence du propriétaire, des opérations minutieusement préparées avec des complicités avérées, la grande majorité des opérations s'est soldée par des vols qualifiés. Et les circonstances sont beaucoup plus aggravantes que cela puisse paraître. En effet, le bilan établi par la cellule de communication au CGN démontre que les éleveurs, présents sur les lieux du vol, sont ligotés, malmenés, agressés, délestés et humiliés dans leur amour-propre. Il ressort, à cet effet, que les éleveurs sont passés à tabac avant qu'ils ne soient délestés de leur cheptel. Bien plus, les voleurs leur subtilisent l'argent, les téléphones mobiles et tout ce qu'ils trouvent comme objet de valeur. Le travail de longue haleine des gendarmes, après des investigations très poussées, montre que les voleurs repèrent le lieu, suivent la trace de l'éleveur et planifient l'opération avant de s'en prendre aux cheptels. Les 712 enquêtes menées durant les 10 derniers mois montrent, par ailleurs, qu'il existe même des multirécidivistes dans ce “business”. Habitués dans le vol et le recel, ces individus sans scrupules iront jusqu'à revendre le bétail à des prix sacrifiés, à l'image de deux receleurs qui ont vendu quatre taureaux pour… 220 000 dinars ! Et ce ne sont guère les anecdotes qui manquent : des voleurs ayant subtilisé plusieurs dizaines d'ovins iront jusqu'à appeler leurs propriétaires pour lui exiger une… rançon. Une méthode rare, certes, mais qui renseigne sur l'insolite qui sévit dans l'esprit et l'univers des bandits. Même si le phénomène a connu une baisse de plus de 60% par rapport aux années 1990 – plus de 44 000 têtes volées en 1998 –, il en ressort que l'inquiétude de nos éleveurs ne fait que grandir dès que les réseaux établis derrière nos frontières multiplient les complicités tant en Algérie qu'au Maroc et en Tunisie. “Agneaux” au Maroc et en Tunisie, “méchoui” en Algérie Ces réseaux ne sont pas forcément spécialisés dans le vol de cheptels. La corrélation avec d'autres phénomènes est de mise dès que les criminels étrangers profitent pour acheminer la drogue, les cigarettes, les vêtements et autres produits contrefaits pour empoisonner l'économie nationale. Pour preuve, des milliers de têtes d'ovins et de bovins ont été récupérées par la Gendarmerie nationale, notamment par les éléments des gardes-frontières (GGF), tant à l'Est comme à l'Ouest, mais surtout à l'Ouest. En effet, des troupeaux entiers, abandonnés par les contrebandiers à la vue des dispositifs des GGF et des points de contrôle et de surveillance des gendarmes, ont été récupérés et restitués à leurs propriétaires qui avaient déposé des plaintes. Mais l'arrière-pensée est ailleurs ! Des deux côtés des frontières, les voleurs, les receleurs, constitués en associations de malfaiteurs, blanchissent l'argent des ventes pour échapper aux signes extérieurs de richesse. Cela va de soi puisque les Marocains, comme les Tunisiens, s'investissent dans de petits commerces pour servir de relais, d'éclaireurs et de complices à leurs acolytes. Véritables “agneaux”, par ailleurs arrivistes dans le blanchiment d'argent, ils tissent des petites toiles pour passer inaperçus et gagner davantage la confiance de leurs contacts sur le territoire algérien, notamment pour développer d'autres activités illégales. Les retombées sont déjà là puisqu'on annonce d'ores et déjà que le prix du mouton connaîtra une hausse assez sensible, pour ne pas dire aberrante à quelques jours de la fête de l'Aïd el-Kébir. Déjà maintenu entre 580 et 700 dinars le kilo, le prix de l'agneau, le vrai agneau, sera chèrement payé par les Algériens. Et le méchoui de la toute prochaine fête ne sera qu'onéreux. Le manque à gagner, une donne omniprésente sur le marché du bétail, donne raison aux éleveurs étouffés par les incessants prêts bancaires – intérêts et agios obligent à prêter attention – et aux agressions et vols quotidiens. Les éleveurs ont finalement leurs raisons. Leurs propres raisons que l'Etat, par le biais du ministère chargé du secteur, ne convint pas à partir du moment où même les maraîchers souffrent tant du changement climatique. Et au-delà des faits que la Gendarmerie nationale relève au quotidien, le flagrant délit est là : le cheptel-connexion met à genoux des éleveurs dont le seul tort est de pratiquer leur métier. Une chose est sûre, le marché aux bestiaux pullule de vols et de recels. Et ce n'est guère du “congelé” ! Servir “frais” et “chaud”… F. B.