Le mythe du “grand frère” vient de tomber tel un château de cartes, comme si la fraternité arabe dont se prévalait depuis des décennies l'Egypte n'était qu'une mise en scène pour assouvir ses intérêts de leadership autoproclamé du monde arabe. En rappelant jeudi son ambassadeur en Algérie pour “consultation” et en convoquant, pour la seconde fois, l'ambassadeur d'Algérie en Egypte, Le Caire semble décidé à faire monter la pression diplomatique sur Alger afin de cacher son camouflet dans la gestion politique de l'agression de nos supporters et de nos joueurs à la veille du match du 14 novembre au Cairo Stadium. Le président égyptien Hosni Moubarak avait décrété que le match pour la qualification au Mondial-2010 était une “priorité nationale”. Maintenant que son équipe a été éliminée et que l'Egypte sera une fois de plus absente à ce rendez-vous sportif international, il tente de créer des diversions afin de calmer une opinion publique égyptienne pour qui le football est une seconde religion, en orientant les tirs contre l'Algérie, la cible favorite ces derniers mois des médias cairotes. Mais dans cette démarche synchronisée et qui semble obéir à un plan de bataille bien ficelé, Le Caire s'engouffre dans certaines contradictions. En l'occurrence pourquoi convoquer notre ambassadeur au Caire pour évoquer des prétendues violences dont auraient été victimes des supporters égyptiens à Khartoum ? Le plus indiqué aurait été de demander au représentant diplomatique du Soudan en Egypte de s'expliquer sur des événements que les chaînes satellitaires égyptiennes ont montés de toutes pièces. En même temps, le motif du rappel de leur ambassadeur en Algérie, au-delà de son caractère exagéré et préfabriqué, semble obéir à cette vieille conception égyptienne des relations interarabes. Autrement dit, une relation de supériorité et de leader de la politique arabe que nul ne peut contester en dépit des reniements et des engagements égyptiens maintes fois trahis par ses propres concepteurs. Le président égyptien réunit d'urgence son Conseil des ministres et exige d'Alger une indemnisation des dommages causés aux supporters à Khartoum et aux infrastructures saccagées en Algérie. Les choses prennent ainsi une tournure grave au-delà de leur caractère rocambolesque. Si l'on doit, un jour, passer à la caisse pour solder les comptes des relations “historiques” algéro-égyptiennes, le président Moubarak aura du mal à rembourser toutes ses dettes, surtout si l'on inclut les deux guerres de 1967 et 1973 où l'Algérie a payé très cher son engagement, car à peine sortie de 132 ans de colonisation. Qu'a-t-on gagné avec l'Egypte ? Des enseignants islamistes dépêchés en Algérie après l'Indépendance pour gangréner l'école et en faire un outil de propagande de l'intégrisme religieux. Qu'est-ce qu'a gagné l'Egypte ? Des investissements minimes, mais que l'Algérie a acceptés dans le cadre du partenariat arabe, et qui se chiffrent aujourd'hui en milliards de dollars dans plusieurs domaines d'activité et dont les seuls bénéficiaires demeurent les entreprises égyptiennes. Dans cette balance qui semble à première vue inéquitable, l'Algérie perd en plus dans l'évasion des capitaux que ces entreprises refusent de réinvestir dans le pays. Ce qui fait beaucoup plus mal aujourd'hui aux Egyptiens, c'est le fait que l'Algérie sera le seul pays arabe et musulman à représenter la sphère durant le Mondial. L'Egypte a fait de la “cause” arabe son cheval de bataille jusqu'à garder le contrôle sur la Ligue arabe. Un autre rappel des faits historiques : l'Etat palestinien est né à Alger en septembre 1988. Quelle est alors la contribution de l'Egypte dans le règlement du conflit palestinien qui a eu, malheureusement, comme dommage collatéral l'invasion du Golan syrien, la destruction totale du Liban et enfin la colonisation de l'Irak ? Dans ces dossiers considérés comme les plus lourds du conflit israélo-arabe, l'Egypte a toujours suivi les choix de la Maison-Blanche, même s'ils sont de nature à porter atteinte à l'intégrité arabe. Son statut de parrain du processus de paix au Proche-Orient, acquis auprès des Etats-Unis au prix des multiples trahisons de la cause palestinienne, confère-t-il le droit à l'Egypte d'agresser des ressortissants d'un pays “frère” et de mener une campagne des plus racistes contre l'identité algérienne ? À moins que l'attitude radicale des autorités égyptiennes vis-à-vis de l'Algérie ne soit dictée par Tel-Aviv confortée par le soutien indéfectible de Barak Obama à Israël après sa demande adressée aux pays arabes de faire un geste en vue d'une normalisation de leurs relations avec l'Etat hébreu. Autre lecture : Le Caire veut-il faire oublier son échec à placer son homme à la tête de l'Unesco ou le parcours peu honorable de l'équipe égyptienne au Mondial des U17 ? Ce qui est aujourd'hui sûr, c'est que le mythe du “grand frère” arabe est tombé tel un château de cartes. Croire en la fraternité égyptienne, c'est exactement prendre un film cinématographique pour une réalité. Seuls les intérêts comptent pour Le Caire qui est désormais prêt à aller jusqu'au bout pour arracher ce qu'il croit être son droit ou pour faire passer les victimes pour des bourreaux. À partir de là, la realpolitik doit impérativement reprendre ses droits dans les relations algéro-égyptiennes qui appellent à une nécessaire réforme afin que le respect mutuel et la préservation des intérêts communs soient clairement entendus et bien compris du côté du Caire.