De mémoire de vieux buraliste de Rouiba, jamais un rush aussi spectaculaire et aussi inédit sur les journaux n'a été constaté que depuis la double confrontation entre l'Algérie et l'Egypte. “Cela fait presque quarante ans que je fais ce métier, je n'ai pas souvenir d'un événement qui a provoqué un tel engouement, une telle boulimie pour les journaux”, se surprend aâmi Ahmed qui en a pourtant vu d'autres dans sa vie. “Des personnes qui avaient l'habitude d'acheter leur journal, un seul, prennent quatre ou cinq en arabe et en français. La frontière entre lectorat arabophone et francophone est complément effacée”, relève-t-il avec une certaine jubilation. “Il faut se lever très tôt pour être sûr d'avoir son journal”, confie pour sa part Halim, un autre buraliste en face de l'école Sentouhi. “Depuis le match Algérie-Egypte, les journaux s'épuisent rapidement”. Face à une telle demande, certains journaux ont augmenté les quotas de distribution, révèle encore aâmi Ahmed. “Il est huit heures (jeudi, ndlr) j'en ai gardé qu'une dizaine pour mes abonnés”, dit-en tout en indiquant du doigt les chemises où sont classés ces journaux. Les deux buralistes restent sans voix face à ce phénomène qui doit certainement être constaté ailleurs. Le pourquoi du comment ? C'est un universitaire qui s'y colle en tentant de décrypter les ressorts de ce phénomène sans précédent. “À mon avis, il y a deux aspects dans ce que vous avez constaté : le premier c'est que la victoire de l'équipe d'Algérie contre l'Egypte est un moment de bonheur collectif pour notre société, pour les jeunes en particulier dont l'existence reste marquée structurellement par les années de violence terroriste. Cette victoire est venue apporter un baume, effacer d'un trait ce traumatisme et les Algériens sont aujourd'hui dans une sorte de bulle de bonheur. Et à mon avis, le fait de voir les gens se bousculer devant les kiosques à journaux chaque matin, c'est une façon à eux de vouloir prolonger encore la fête dont la presse est un élément important, un diffuseur”? Que la fête continue donc ! Et le deuxième aspect ? “Ces mêmes lecteurs sont également mus dans leur comportement par le souci de trouver dans les journaux de la presse écrite des répliques, des réponses au flux d'attaques des télévisions égyptiennes”. Et d'expliquer davantage ce comportement quasi pavlovien : “Le soir, ces lecteurs suivent les talk show sur les chaînes satellitaires égyptiennes, comme Dream 2, Nil TV, pour ne citer que ces deux là, au bout ils sont remontés, ils sont frustrés et le lendemain ils se précipitent très tôt sur les journaux pour chercher les réponses qu'ils auraient eux-mêmes voulu apporter à ces chaînes, c'est un peu compliqué comme mécanisme psychologique.” Et c'est à ce niveau précis que se situe ce que cet universitaire qualifie de “faillite de la télévision nationale”. “Dans cette affaire, notre télévision, qui doit avoir ses propres raisons d'adopter cette attitude, a raté cependant et encore une fois une occasion de coller aux attentes de son public, cela en se montrant en décalage dans le traitement de l'événement, comparé aux télévisions satellitaires de l'Egypte, du Golf voire même maghrébines et françaises”. En somme, la presse écrite algérienne à travers ses multiples titres a eu pour cette occasion à assumer aussi le combat contre la machine cathodique égyptienne. Et pour l'universitaire d'interpeller les autorités politiques du pays sur la nécessité de l'ouverture de l'audiovisuel. “Il nous faut une télévision percutante performante, comme notre équipe nationale et cela doit passer par une ouverture progressive et réfléchie des médias lourds”. La balle est dans le camp des pouvoirs publics.