Peut-on vivre ou connaître l'enfer sans mourir ? Existe-t-il sans pour cela mourir ? Se peut-il que le bien enfante le mal ? C'est à ces questions que la coopérative Djahid pour le théâtre, de Sidi Bel-Abbès a répondu, lundi dernier à 16h, lors de la représentation de la pièce El Djahim (produite en 2007) à la salle Hadj Omar du TNA. En fait, était-ce une réponse ou plutôt des certitudes ? Durant soixante-dix minutes, et à travers une trame tournant essentiellement autour d'une banale histoire d'amour, les comédiens ont exposé en toile de fond une autre histoire. Celle de l'Algérie durant la décennie noire. Une décennie durant laquelle sang, barbarie, tuerie, massacres ont régné en maîtres. Le décor est planté : un morceau de tissu blanc servant de paroi, de fond. Il est maculé de tâches de sang formant des motifs, des souillures. Sur des notes venues du fin fond du Gourara, le musicien, en tenue bédouine, gratte son gumbri d'où fuse une musique triste… La scène commence par la fin.Pour tout comprendre, les acteurs, au nombre de sept vous racontent l'histoire de Besma et de l'égorgeur. L'endroit dans lequel se déroule l'histoire est une sorte de grotte qui pue la mort. Mais pas n'importe quelle mort : celle des innocents. Parce qu'on lui a refusé la main de Besma, parce que, selon lui, la famille de sa dulcinée a massacré les siens pour d'obscures raisons. Entrant dans une folie meurtrière, il kidnappe Besma et chaque soir, il tue une personne, l'offrant à la déesse de la mort et du sacrifice. Dans sa démence, il confond entre celle qu'il aime et celle pour qui il tue. Il n'a plus ses esprits. Le lieu devient tel un cimetière, celui de l'oubli. Un duel entre Lui et Elle. Lui ne sait plus ce qu'il fait, comme s'il était sous l'emprise d'une quelconque force maléfique. Elle, lasse de voir du sang couler, lasse de ces morts innocents. D'ailleurs, deux morts tournent en rond tout au long de la pièce. Des silences viennent ponctuer les dialogues. Deux voix fusent du mur. Celles des victimes de la barbarie. Devisant ensemble, se racontant leurs déboires. Leur vie avant de tomber entre les griffes du terrorisme… Besma n'en peut plus de cet enfer. L'égorgeur aussi. Arrive, comme par enchantement, le poète. Le sauveur. Avec ses paroles, il tentera d'extirper la Belle des griffes de la Mort. Il y arrivera, mais presque, car Besma s'est habituée à ce lieu sinistre qui sent la mort à mille lieues. Elle n'arrive pas à se défaire de l'égorgeur. Que faut-il faire ? La laisser ? Cohabiter ? Un duel. Il se termine par la mort. Celle de la Belle. La haine a eu raison de l'amour. Dans ce travail expérimental, l'auteur et metteur en scène Dine El-Hani Mohamed Djahid, a voulu, à travers une tragédie grecque, sombrant dans le théâtre de la cruauté, qui ressemble à celui d'Arthaud, reproduire avec une vision large, mais très détournée, ce qu'a traversé le pays comme événements tragiques. Même si le dialogue était très simple, ou des fois le jeu de certains comédiens cassait le rythme de la pièce, ou la musique belle aussi mais ne correspondant pas trop au contexte, car rappelant beaucoup plus le blues que l'horreur, il n'en demeure pas moins que l'émotion, la création, voire le travail étaient palpables, présents. Un effort louable, reste à approfondir la trame, et même si le bien enfante le mal, l'enfer reste le même, car “l'enfer, c'est les autres”, selon Sartre.