Elu au Conseil de la nation en décembre 2000 alors qu'il assurait un mandat d'élu local au nom du RND (P/APC de Kouba), Chiheb Seddik a occupé le poste de vice-président de cette institution durant deux années. Il a actuellement la même qualité à l'APN. De son avis, il est nécessaire de doter le Sénat de plus grandes prérogatives, dont le pouvoir d'amendement afin de ne plus le confiner dans le rôle de “compostage” des lois votées par l'Assemblée nationale. Liberté : Vous avez été vice-président du Conseil de la nation, en qualité d'élu RND. Quel capital tirez-vous de cette expérience ? Chiheb Seddik : Il est certain que l'instauration du Conseil de la nation dans la hiérarchie institutionnelle et législative en Algérie a ajouté de la force au caractère républicain de notre pays, eu égard au rôle joué par la deuxième Chambre du Parlement, créée certes dans une conjoncture politique et sécuritaire exceptionnelle. Il demeure, néanmoins, juste de dire que l'Algérie n'a rien inventé dans ce domaine précis. Les plus vieilles démocraties de ce monde fonctionnent avec un Parlement, composé de deux Chambres, qui travaillent dans la complémentarité et sans contradiction avec les Constitutions propres à ces pays, à l'instar de la France, l'Italie, l'Espagne ou certains Etats arabes dont nos deux voisins maghrébins. De même pour les Etats-Unis d'Amérique et l'Angleterre où cohabitent deux Chambres de représentants. Quant au rôle qu'a joué et joue toujours notre Sénat, il s'inspire de l'ambition d'améliorer le rendement législatif et veiller à la sauvegarde des intérêts de notre nation. Et contrairement à ce que pensent les réticents, le Sénat algérien, de par sa position intermédiaire entre la première Chambre parlementaire et les pouvoirs publics, n'a jamais été un censeur législatif et encore moins une jauge de la teneur des textes de loi, approuvés par l'APN. À mon sens, le Conseil de la nation, qui gagne en maturité, doit être hissé à un statut plus élevé. Pensez-vous que le Sénat a réellement rempli la mission pour laquelle il a été créé par la Constitution de 1996, c'est-à-dire empêcher les intégristes de s'emparer du Parlement ? Absolument. Le Sénat a, quoi qu'on dise, assuré sa mission dans le renforcement de la stabilité institutionnelle qui lui a été conférée en vertu des dispositions de la Constitution de 1996. Maintenant que la crise est derrière nous, que les phases transitoires sont dûment consommées, il serait judicieux de promouvoir cette expérience pour mieux ancrer la démocratie dans notre pays. Les choses évoluent continuellement. Elles doivent, néanmoins, progresser dans un cadre normalisé et complémentaire à la lumière de ce qui se fait ailleurs dans les pays démocratiques. Etant moi-même un ancien membre du Conseil de la nation, passé de l'autre côté de la représentativité (actuellement vice-président de l'APN, ndlr), je peux dire que cet acquis démocratique mérite d'être repensé et capitalisé. Cela dit, vous faites allusion, dans votre question, aux conditions et climat ayant concouru à l'existence de cette Chambre. Il est vrai que le péril islamiste, qui menaçait l'essence même de la République algérienne dictait, faudrait-il le rappeler, un tel choix, qui selon les législateurs, nécessitait la mise en place d'une institution “garde-fou” contre d'éventuelles dérives politiques, visant l'avortement de son ouverture pluraliste que l'Algérie a pu dépasser. Aujourd'hui, on s'estime heureux que le Sénat jouisse d'une aura internationale, de par le rôle et la mission qu'il a assumés et assume encore. Selon vous, est-il nécessaire de garder, dans la conjoncture actuelle, la deuxième Chambre parlementaire ? Sans hésitation, je réponds par l'affirmative. Je vais même plus loin en disant qu'il y a lieu de fructifier l'expérience acquise par cette Chambre parlementaire, qui a apporté un précieux appui à notre démocratie naissante tant au niveau des forums internationaux où elle a parfaitement exprimé la voix de l'Algérie que dans le rendement législatif. Ce qui m'amène à dire qu'il n'y a pas de raison à focaliser sur le péril extrémiste, mais c'est un plus pour le paysage politique national. Il s'agit, toutefois, de donner les moyens à cette institution, pour faire sienne réellement la mission parlementaire. En termes de spécificité, le Parlement reste le Parlement. Il doit immanquablement exprimer la voix populaire. Encore faut-il rappeler que le bicaméralisme est né des besoins démocratiques et non pas systématiquement à cause de menaces qui surgissent dans le sillage de l'évolution d'une nation. Faudrait-il, alors, donner aux sénateurs plus de prérogatives, dont le pouvoir d'amendement ? Ce serait une bonne chose que de promouvoir le Conseil de la nation en le dotant du pouvoir d'amendement, dans un cadre complémentaire avec l'APN. Des prérogatives qui se montrent de plus en plus impératives pour asseoir cette complémentarité, qui gagnerait à être redéfinie. Il faut admettre que nous ne sommes pas totalement parvenus à une parfaite symbiose si nécessaire, dans les missions des deux Chambres du Parlement. Permettre au Conseil de la nation de légiférer ou d'avoir un pouvoir d'amendement le rendra, à vrai dire, beaucoup plus responsable et lui fera prendre conscience de son importance. Mais ce pouvoir doit être bien étudié et surtout bien compris de façon à éviter toute confrontation avec l'Assemblée populaire nationale et éviter notamment les réflexes de surenchère des uns sur les autres. Le problème, en soi, ne réside pas dans le fond, mais dans la forme. Si le Conseil de la nation ne se renforce pas avec de nouvelles prérogatives, il tombera dans la pratique banalisée d'une institution de compostage de textes de loi, sans plus. Vous avez fait un mandat au Sénat et vous êtes, depuis les élections législatives de 2007, député. Quelle différence faites-vous entre les deux statuts ? Les deux expériences se croisent et se complètent. Mais il reste à reconnaître que l'APN, qui possède des prérogatives plus larges, est une expérience plus dynamique, plus fructueuse que celle acquise au Conseil de la nation. Donc, je peux dire qu'il est impératif de revaloriser le rôle du Sénat à la mesure de sa mission.