D'importants fonds servent à payer l'expertise étrangère. Si en Algérie, l'essentiel est de prendre conscience que nous sommes loin des canons universels dans tout ce qui se rapporte à l'étude, à la mise en œuvre et à la gestion des projets, il est tout aussi nécessaire de se rendre compte que des carences criardes existent dans les modes et techniques de montage financier des grands projets, dans l'opacité qui persiste à régner dans l'attribution des marchés publics et dans l'absence ou la rareté de la collaboration efficace entre les deux secteurs public et privé. D'énormes capitaux servent à payer le savoir-faire étranger et l'expertise importée, faute de formation efficace dans les diverses écoles et instituts universitaires algériens, ce qui provoque du coup une saignée dans les fonds publics destinés à être transférés en dehors du pays. Un problème lancinant et qui peine à être résolu depuis le temps de l'immédiat après-PAS, celui des pertes de change, a été posé. Parmi les présents, il y avait naturellement les partisans de la doctrine libérale pure et dure, qui pensent qu'il s'agit d'un risque naturel que doivent courir investisseurs et banquiers. D'autres, pas trop convaincus (après les dernières frasques de la doctrine du “tout-marché” et la crise financière mondiale qui en a résulté, suite à la crise des “subprimes”, pensent plutôt que les pouvoirs publics doivent accompagner les investisseurs et les banques lorsqu'il s'agit de gros projets dont la réalisation s'étend sur le long terme, et surtout lorsque les dévaluations sont dues à des manipulations monétaristes réalisées par les autorités financières du pays. Le dinar a bien été dévalué au 1/10e de sa valeur au moment de l'application du PAS au cours des années 1990, ce qui a mis sur la paille les investisseurs de l'époque. Au cours du séminaire “Project Finance”qui s'est déroulé les 11 et 12 janvier à El-Aurassi, il a été question de tout cela et de bien d'autres choses encore entre spécialistes et experts, consultants, sponsors et accompagnateurs de mise en œuvre de “project finance”. À l'évidence, depuis quelque temps, c'est un leitmotiv lancinant qui revient dans la bouche des experts algériens, celui de la ressource humaine qualifiée. M. Réda Hamiani, président du FCE, pense que “les investissements publics réalisés sur fonds du Trésor, c'est quelque chose de positif, mais plus tard, il faudra trouver un budget pour faire fonctionner ces structures, une fois réalisées”. Par ailleurs, selon le président du FCE, “les entreprises privées n'ont eu accès qu'à la réalisation d'une infime partie de ces projets”, déplorant le fait que “l'expertise demeure étrangère. On aurait souhaité apprendre auprès des étrangers, afin de cumuler un savoir-faire à mettre en œuvre dans la pratique, au lieu de rester dépendants. Il n'y a pas de transfert de technologie”. M. Hamiani note que “la croissance depuis 2001 est nourrie par la dépense publique, alors qu'il aurait été souhaitable de réaliser une croissance portée par les entreprises locales, au lieu du tout-public. Un autre point négatif : celui des retards dans la réalisation, de l'opacité des attributions des marchés publics et des surcoûts, allant parfois jusqu'à 50% par rapport à ce qui se fait ailleurs, à l'exemple de l'autoroute Est-Ouest, et d'autres mégaprojets”. Qui dit opacité sous-entend corruption, ce qui empêche le financement en BOT, par exemple, puisque cette formule ne permet pas à de tierces personnes de se sucrer sur un projet. Le président du FCE enfonce le clou pour arriver au sujet inscrit à l'ordre du jour et parle “d'absence de management des projets, une spécialité qui devrait être créée au niveau des universités et instituts, dans le but d'acquérir une expertise nationale qui mettrait le pays à l'abri de la dépendance vis-à-vis de l'étranger”. Citant l'exemple du gazoduc Algérie-Italie, afin d'illustrer ses propos, M. Hamiani remarque “c'était pour la première fois qu'on installait un gazoduc sous-marin. Les Italiens ont créé un institut à la suite de cette réalisation et sont devenus experts, détenteurs d'un savoir-faire”, alors que les Algériens, qui partaient à égalité avec leurs partenaires, n'ont rien tiré question expertise et ont dû rappeler les Italiens en vue du doublement de ce gazoduc transméditerranéen vers l'Italie puis pour la construction du Medgaz reliant l'Algérie à l'Espagne. “Les Algériens ont non seulement payé la réalisation des gazoducs aux Italiens, mais aussi leur apprentissage”, résume Réda Hamiani qui ajoute “si la dépense publique devrait être utilisée comme levier pour l‘apprentissage, l'investissement sur les grands projets ne peut créer que des emplois momentanés. Il n'y a que l'industrie manufacturière qui peut générer de l'emploi permanent”. M. Benkhalfa, président de l'Abef, a souligné à son tour “la nécessité d'enseigner les techniques de banques évoluées, l'engineering financier”. M. Loukal, P-DG de la BEA, affirme que “la démarche de la BEA s'est adaptée au terrain au fur et à mesure que les projets avançaient, en mettant en place une équipe et en tentant d'acquérir une technique d'évaluation et de financement non encore maîtrisée par la place”. Ainsi la BEA a recouru au financement par syndication en faveur de 10 grands projets dont 5 usines de dessalement d'eau de mer, 3 centrales électriques (dont celle de Hassi-R'mel, hybride gaz naturel et solaire) et les deux unités d'ammoniac et urée. Au total 539,5 mds DA, dont 398,4 mds DA de crédits. Il s'agit de vastes investissements courant sur le long terme (10 à 15 ans), avec tous les risques qu'ils comportent sur la question de disponibilité de cash flow ou même de la rentabilité des projets une fois achevés qui seront remboursés par leur exploitation. Or les banques privées locales (étrangères de droit algérien) sous capitalisées, aux fonds propres très faibles, se désintéressent des grands projets estimés trop risqués. Si la gestion du mécanisme “risque de change” n'existe pas, il faudrait néanmoins adapter la réglementation des changes afin de la mettre au niveau de la réglementation internationale et ainsi arriver à l'automaticité des paiements avec suivi du risque, surtout s'agissant de projets dont la production est destinée à l'exportation. Par ailleurs, “il est nécessaire de créer des institutions spécialisée en modélisation financière afin d'encadrer les grands projets (ingénierie financière, modélisation, etc.), car pour l'heure on continue à faire appel au savoir-faire étranger”, d'après M. Loukal, qui souligne qu'“un mécanisme institutionnel devrait être mis en place afin que les banques se limitent à répondre uniquement à la menace du risque bancaire et non pas au risque industriel ou à celui qui concerne la taille des projets”. M. Chiali DG de la Cned (Caisse nationale d'équipement pour le développement), a lu un message du ministre des Finances, qui a dû renoncer à la rencontre, où il est, entre autres, question de la création prochaine d'un fonds d'investissement dans chaque wilaya et de l'importance de diversifier l'offre de financement avec notamment la mise en place de project finance. Dans son message, le ministre des Finances exhorte l'ensemble des banques algériennes à se l'approprier en vue de s'en servir. Le DG de la Cned a informé l'assistance de la création et de la mise en circulation en ce début janvier d'un guide de management de projet qui a été réalisé avec l'aide de la BM. Ce guide sera mis à la disposition des banques, des universités et des grandes écoles. Il y est question, entre autres sujets, de la maturation des projets, de leur évaluation, du suivi de leur réalisation, de l'évaluation rétrospective selon des critères de base décidés au départ. Pour Réda Hamiani, “la ressource humaine doit être sauvegardée et améliorée. Pour cela il sera nécessaire de créer des lieux de savoir”.