À l'allure où se montent ces mobiles homes, les tentes seront debout même en hiver 2004. Le séisme du 21 mai est derrière nous, mais la catastrophe n'est pas pour autant soldée. Loin s'en faut. En guise de bilan détaillé, on a eu droit à une foultitude de données, de diverses sources. L'avalanche de statistiques, de commentaires et de recommandations qui ne se recoupent pas toujours, c'est certainement pour noyer le poisson et repousser aux calendes grecques la désignation des vrais responsables. Le tremblement de terre est naturelle, mais l'amplitude de ses dégâts porte la signature des hommes. C'est toute la chaîne des autorités qui est responsable, du haut au bas de l'échelle. D'ailleurs, n'est-il pas exaspérant de voir tous les intervenants du bâti se tirer dessus. Le ministre de l'Habitat a saisi la justice comme s'il n'avait pas sa part dans la gabegie architecturale et les architectes crient déjà au loup. Avertissant que les opérations de confortement se font à la sauvette, sans précaution aucune, ils dénoncent le laxisme des autorités qui confondent badigeonnage et reconstruction, priant le ciel que la terre ne tremble pas comme ce 21 mai. Le CTC n'arrête pas de crier qu'il a été mis hors coup pour que se sucrent promoteurs véreux et administration corrompue, oubliant le prix de son silence. Le Craag revendique les instruments nécessaires à la confection d'une véritable carte sismique, espérant que ces observations deviennent à l'avenir un dogme. Cela dit, chez les sinistrés, la vie a repris ses droits. Plutôt mal avec la fournaise de l'été et les insuffisances criantes des administrations spéciales placées par le ministre de l'Intérieur. ça a finit par se savoir : ce nez de pied contre les maires a été dicté par la prochaine élection présidentielle. Les sinistrés n'ont pas été dupes : ils ont tout de suite saisi que les virées des hautes autorités étaient destinées pour l'Unique, la faiseuse de Présidents. D'ailleurs, depuis la découverte de la supercherie, plus de processions de limousines sur les lieux du tremblement de terre. Bouteflika les avait suffisamment avertis : ils doivent prendre leur mal en patience, il a prévu pour eux 100 milliards de DA. Ceux qui sont sous les tentes savent ce que cela veut dire. On leur a promis, les bâches seront démontées avant l'hiver. Le ministre de l'Intérieur leur avait même annoncé que le parc de logements inoccupés était suffisant pour caser tout le monde. Quatre mois après, le ministre n'a trouvé que quelques F2, refusés par les bénéficiaires qui, de toutes les façons, ne veulent pas quitter leur quartier. En attendant les 20 000 logements annoncés avec fracas et dont la première pierre ne sera jetée qu'à l'automne, le Chef du gouvernement, en homme avisé, a trouvé la solution miracle : le préfabriqué. L'idée est géniale d'autant qu'elle aurait pu insuffler une dynamique économique et résorber le trop-plein de chômage, mais à l'allure où se montent ces mobiles homes, les tentes seront debout même en hiver 2004. L'hiver, c'est dans moins de trois mois et rien n'indique que ces promesses seront tenues. Pour les citoyens, ce ne sont là que des effets d'annonce, comme il en a plu dans le pays après chaque catastrophe. La majorité des sinistrés ont le sentiment d'être laissés sur la touche, exigeant les mêmes conditions que ces camps-témoins qu'exhibe avec fierté la Télévision. L'incurie est telle qu'ils n'ont pas arrêté de crier leurs colères, se demandant si les aides étrangères et la cagnotte dégagée par le gouvernement n'iraient pas encore enrichir la même faune. Ouyahia a beau jurer plus jamais ça, mais personne ne le croit. L'Etat continue de fonctionner comme à son habitude. La vaste polémique qui s'est établie entre les divers intervenants dans le bâti traduit bien qu'on n'est pas encore sorti de la quadrature du cercle. Les architectes se défaussent sur les ingénieurs qui accusent les maîtres d'ouvrages, lesquels désignent les entrepreneurs qui, eux, invoquent les matériaux de construction. Les maires se cachent derrière leurs tutelles lesquelles invoquent la pression sociale. L'enquête promise par le pouvoir promet plein de rebondissements avec ces accusations qui ressemblent au cycle de la poule et de l'œuf. Le séisme du 21 mai soulève de fait la question de la capacité du système à la prévoyance. Administrer, c'est prévoir et, pour prévoir, il faut un vrai projet de société. Or, c'est justement là où le bât blesse. L'Etat providence est mort et, dans l'attente de l'Etat de droit, l'Etat autoritaire règne en maître absolu. D. B. Collectif des déposants de la banque El Khalifa Lettre ouverte au président de la République “Monsieur le Président, nous, clients de la banque El Khalifa, avons l'honneur de solliciter le premier magistrat du pays que vous êtes. Le séisme du scandale qui agite le secteur financier et bancaire algérien aura des conséquences à moyen et long termes que beaucoup de prétendus responsables sont loin d'imaginer. À l'occasion de la cérémonie de prestation de serment du 27 avril 1999, vous aviez déclaré : “(…) Pour ma part, je m'engage à assurer concrètement la protection du citoyen contre tout abus d'où qu'il vienne et à établir dans les faits le principe de la primauté de la loi et de l'égalité absolue devant elle…” Notre appel prend appui sur cet acte de foi car, au-delà des procédures judiciaires, la solution relève avant tout de l'engagement précité. En effet, devant les carences criantes des institutions de l'Etat en charge du contrôle et de la régulation des opérations financières, à leur tête la Banque d'Algérie et l'administrateur provisoire, vous avez dû prendre une mesure conservatoire dans l'intérêt de l'Algérie et des Algériens en décidant le retrait d'agrément à la banque El Khalifa. Un peu plus tard, monsieur le ministre des Finances annonce que les transactions engageant des opérateurs étrangers seront dûment honorées, ce qui constitue une mesure politique très pertinente au demeurant, qui s'inscrit comme une suite logique de vos orientations. Selon la même logique, les organismes à caractère social ont bénéficié de la même mesure. Par ailleurs, le parcours technique d'une liquidation judiciaire en bonne et due forme a été bafoué à chacune de ses étapes. Monsieur le Président, le citoyen algérien a-t-il eu tort de croire en la solvabilité d'une banque agréée par l'Etat, choisie et préférée aux banques publiques par des institutions étatiques de premier rang ? Est-il responsable de la débâcle financière résultant de l'incurie des services de la Banque d'Algérie ? Est-ce leur faute si, par exemple, un fonctionnaire de cet organisme, en mission de contrôle auprès de la banque El Khalifa, se retrouve quelques mois plus tard recruté parmi les dirigeants de cette même banque sans que personne y trouve à redire ? Monsieur le Président, seule une décision politique similaire, en faveur des déposants nationaux, pourra éloigner le spectre d'une Algérie livrée à l'anarchie financière, à la gabegie légalisée et au hold-up administratif. Seule une décision politique tranchante visant la garantie des avoirs des déposants, dans la continuité de celle qui a été prise en faveur des opérateurs étrangers et des organismes à caractère social, sera à même de brider l'inflation du “risque Algérie”. Vous seul, Monsieur le Président, pouvez la prendre.”