Nous avons retrouvé l'auteur, Youcef Merahi, à l'occasion d'une vente-dédicace organisée par la librairie-éditions Tira, à Béjaïa. Il répond avec bienveillance et une grande lucidité à nos questions. Liberté : Votre dernier roman s'appelle Je brûlerai la mer. Est-ce pour détecter facilement les harragas et les faire arrêter ou, au contraire, pour leur permettre de la traverser à pied ou en 4X4 pour les plus fortunés ? Youcef Merahi : Dans Je brûlerai la mer, il ne s'agit pas du phénomène des harragas que je comprends fort bien dans leur tentative désespérée de quitter l'Algérie au prix de leur vie. Car les politiques algériens n'arrivent pas à répondre à leurs attentes. Certains harragas pensent, à tort certainement, mais c'est leur rêve et je le respecte, que leur vie est ailleurs. Ce phénomène touche tous les pays du Sud, à la différence que l'Algérie a les moyens d'offrir à notre jeunesse le rêve qu'elle recherche ailleurs. Mon roman raconte les pérégrinations de quatre Algériens à Belcourt, autour du personnage central Amar Boum'Bara, avec pour chacun des besoins apparents ou cachés. Bien sûr, la trame évolue dans une Algérie qui, de 1962 à nos jours, n'a pas su créer les conditions nécessaires à une existence rêvée par nous tous après l'Indépendance. La déception ne s'est pas fait attendre longtemps, d'abord chez les intellectuels, ensuite c'est l'Algérien dans son ensemble qui souffre. “Brûler la mer”, dans l'esprit de Akli Z'yeux bleus, un personnage du roman qui n'a qu'une unique ambition, celle de quitter le pays, c'est vraiment tenter d'incendier la mer Méditerranée pour permettre à “tous” de partir… Oui, en 4/4 pour les plus fortunés... À dos de chameau, peut-être, pour les autres... Le reste est dans le roman. Des personnages comme Boum'Bara, marginaux au départ, originaux, deviennent des stéréotypes dans la littérature algérienne à force d'usage. Qu'en pensez-vous ? Pourquoi dire qu'un personnage comme Boum'Bara est un stéréotype ? Chaque romancier choisit ses personnages en fonction du scénario qui prévaut. Puis Boum'Bara n'est pas un marginal. Il veut l'être. C'est son tempérament, car il est né sans appétit aucun pour la vie. La nature, comme vous pouvez le constater dans Je brûlerai la mer, ne l'a pas gâté physiquement : ce qui a compliqué d'autant son insertion, si je puis dire, au sein de l'école et du lycée plus tard. Cette nature existe dans notre pays. Certains jeunes, dans nos cités, en marge de tout intérêt pour quoi que ce soit, défient le temps par leur oisiveté et leur mépris de tout ce qui a trait à l'activité, surtout intellectuelle. Ces jeunes ne sont pas responsables de leur situation, du moins je le crois. Car l'Algérie n'a pas su donner à ses enfants le cadre adéquat d'épanouissement. Notre école est désincarnée. L'élève n'est qu'un entonnoir par lequel transitent, souvent de force, des connaissances ingurgitées sans plaisir aucun. Il n'y a pas l'appel à l'émerveillement, au rêve, à l'imaginaire. Boum'Bara est un exemple de la situation bloquée dans laquelle notre jeunesse s'agite. C'est de l'ordre du politique et du sociologique, c'est dans ce moule que je mets mon roman, Je brûlerai la mer. Nous allons nous éloigner un peu de la littérature pour aborder la situation du HCA, dont vous êtes secrétaire général. Le flou politico-juridique qui continue de prévaloir, je pense, vous met dans un état d'attente qui ne doit pas être très confortable. Qu'en est-il au juste ? À quoi doit-on s'attendre ? Je ne m'attendais pas à votre question sur le HCA. Je réponds en ma qualité de romancier et non en ma qualité de responsable d'une institution publique. Je veux rester sur le strict plan de la littérature, du moins dans cet entretien. Mais je suis à votre disposition pour un entretien plein sur le HCA, car parler de flou juridico-politique, comme vous le dites, ne donne pas une lumière suffisante, non pas de l'état actuel de notre institution, mais de la situation de l'amazighité (enseignement, culture, graphie, environnement, etc.) dans notre pays. Je pense qu'il est temps de faire un état des lieux général et précis pour aller de l'avant, principalement dans l'enseignement —voie royale pour rendre pérenne notre langue—, car le constat est fait : la matière tamazight au sein de l'école algérienne est orpheline. Je brûlerai la mer, le dernier roman de Youcef Merahi (Casbah Editions, 2008), est une œuvre dans laquelle on entre doucement mais sûrement. C'est comme une descente aux enfers délicieuse. Le roman se caractérise par une liberté de ton courageuse qui nous conforte dans notre opinion sur la liberté de création et d'expression dans notre pays quoi que l'on dise. Derrière un constat sans concessions, grossi à dessein, couve quand même une lueur d'espoir. Quand on referme l'ouvrage, on reste sur sa faim, on se sent même frustré. On se prend de tendresse pour ses trois personnages qui, arrivés à Paris “légalement” pour voir leur ami, le quatrième personnage, harrag heureux, n'ont qu'une envie : revenir en Algérie et affronter leur destin. Un roman à lire vite et… bien !