Subite montée de tension en Iran à la veille de la célébration de l'anniversaire de la révolution islamique coïncidant avec les derniers développements sur le dossier nucléaire iranien et la montée au créneau de l'opposition. Une foule chauffée à blanc de miliciens islamiques a attaqué, mardi, à coups de pierres et autres projectiles, l'ambassade d'Italie à Téhéran. Sans l'intervention bizarrement opportune de la police, les manifestants auraient même pris d'assaut la chancellerie italienne. Des incidents analogues ont eu lieu simultanément devant les ambassades de France et des Pays-Bas. Se présentant comme des étudiants, scandant “Mort à l'Italie !” et “Mort à Berlusconi !” les protestataires seraient en réalité des bassidjis, selon le ministre italien des Affaires étrangères, Franco Frattini. L'ire des miliciens islamiques serait provoquée par la dernière visite du chef de l'Exécutif italien à Israël au cours de laquelle il a critiqué l'Iran sur son attitude dans la conduite de son programme nucléaire et a préconisé des sanctions plus sévères à l'encontre du régime des mollahs. Le président du Conseil italien, dont le pays est l'un des principaux partenaires économiques de l'Iran, a également déclaré qu'il interdirait de nouveaux investissements dans ce pays dans les domaines du pétrole et du gaz. La presse iranienne en a fait ses choux gras, traitant Berlusconi de “laquais” de l'Etat hébreu. La France, pour sa part, est dans la ligne de mire du régime de Téhéran depuis que le Satan américain a changé de visage, à l'occasion de l'arrivée de Barack Obama à la Maison-Blanche, et la montée au créneau du président français Nicolas Sarkozy qui a développé les positions les plus fermes à l'égard du régime iranien. La dernière visite à Paris du secrétaire d'Etat américain à la Défense Robert Gates, qui a donné lieu à des déclarations communes d'une fermeté rare, ne serait donc qu'un prétexte pour que l'ambassade de France soit prise comme cible. En réalité, tout laisse supposer que cette soudaine montée de la haine de l'Occident n'est ni spontanée ni sincère. Elle est programmée, canalisée et vise des objectifs essentiellement internes. Une clé : la date du 11 février Il n'y a, pour s'en convaincre, qu'à faire une lecture circonstanciée des évènements qui ont projeté l'Iran au devant de la scène internationale ces deux dernières semaines. Il y a quinze jours, deux opposants arrêtés dans la foulée de la contestation postélectorale ont été exécutés. Un peu plus tard, la justice iranienne a annoncé la pendaison programmée de neuf autres contestataires. L'ancien Premier ministre et principal adversaire de Mahmoud Ahmadinejad à l'élection présidentielle de juin, Mir Hossein Moussavi, est monté au créneau pour réaffirmer sa contestation des résultats du scrutin, fustiger le gouvernement et crier sa détermination à lutter pour les “droits des Iraniens”. Il a été jusqu'à remettre en cause l'ensemble du régime islamique en décrétant que la révolution a échoué. Il a précisément appelé ses partisans à faire du 11 février, jour anniversaire de l'aboutissement de ladite révolution, une nouvelle journée de protestation après celles, réprimées dans le sang, des mois de juin et de décembre. L'autre candidat malheureux, Karoubi, lui a emboîté le pas et les appels à manifester ont fait florès sur Internet. L'un des plus hauts responsables des Gardiens de la révolution est alors monté au créneau pour menacer des feux de l'enfer les partisans des deux leaders de l'opposition qui s'aviseraient de gâcher la fête à l'occasion de la commémoration, aujourd'hui, du 31e anniversaire de la naissance de la République islamique d'Iran. Mais ni la répression féroce, ni les arrestations par centaines, ni les condamnations et les exécutions arbitraires n'ont eu raison de la détermination de l'opposition. La preuve en est qu'une autre voix, une voix qui compte beaucoup en Iran, est venue s'ajouter à celles de Moussavi, de Karoubi et de leurs partisans. Il s'agit de l'ancien président réformateur Mohammad Khatami. Ayant renoncé à sa candidature en juin dernier au profit de Moussavi, il a appelé lundi à manifester massivement ce jeudi. “Si Dieu le veut, tout le monde participera aux défilés”, a-t-il déclaré à l'agence Ilna. Ce à quoi a répondu le guide suprême Ali Khamenei avec une rare violence en affirmant que “la nation iranienne saoulera de coups de poing le visage de tous les arrogants du monde”. Aujourd'hui est donc un jour à très haut risque et les autorités iraniennes le savaient depuis longtemps, tout comme l'opinion internationale, qui craint à juste titre une nouvelle flambée de violence. Des provocations étudiées À l'approche de la date fatidique du 11 février, les autorités iraniennes ont pris, coup sur coup, deux initiatives qu'ils savaient inquiétantes pour les capitales occidentales. D'abord, l'envoi réussi d'une fusée dans l'espace, avec à son bord des animaux vivants. D'une technologie 100% iranienne, la fusée utilise le même dispositif de lancement que les missiles balistiques à longue portée. Et, comme si cela ne suffisait pas à émouvoir Israël et les Occidentaux, Téhéran a entrepris l'enrichissement à 20% de son uranium depuis mardi, signant ainsi l'échec de plusieurs mois de négociation. Ce faisant, le régime iranien savait pertinemment que les puissances occidentales réagiraient. Mais il savait aussi que leur marge de manœuvre est réduite. Les Etats-Unis et l'Union européenne se sont consultés et ont fait état de leur conviction, à l'image du ministre français de la Défense, que le nucléaire iranien a des objectifs militaires. Il est acquis que des sanctions plus sévères seront proposées au Conseil de sécurité sous la prochaine présidence française. Mais il est évident, aussi bien pour Téhéran que pour les puissances occidentales, que les sanctions économiques et financières sont d'un effet quasiment nul, exception faite d'un éventuel embargo sur le pétrole. Or, la Chine, qui dispose du droit de veto au Conseil de sécurité, s'opposera sans aucun doute à toute sanction touchant le secteur des hydrocarbures. Elle le fera conformément à ses intérêts d'abord, mais aussi pour mettre à exécution une partie des menaces brandies à l'occasion de la dernière crise diplomatique avec les Etats-Unis. Barack Obama a d'ailleurs clairement évoqué cette éventualité, tout en se félicitant du “chemin parcouru par la Russie” sur le dossier du nucléaire iranien. A contrario, le ballet diplomatique occidental et les déclarations menaçantes qui en ont résulté pour l'Iran ont été un prétexte rêvé pour convoquer le vieux sentiment de haine des Etats-Unis en provoquant des “manifestations spontanées”, empreintes de violence, devant les ambassades de France, d'Italie et des Pays-Bas. Intervenant à la veille des festivités du 11 février que les ambassades des pays de l'Union européenne pourraient boycotter solidairement, alors que l'opposition veut en faire une nouvelle journée de contestation de la réélection de l'ultraconservateur Ahmadinejad et de protestation contre la répression, la manœuvre viserait à “complexer” les opposants, régulièrement accusés par le pouvoir de collusion avec “l'ennemi étranger”. Il reste à savoir si l'Iran n'aura pas à regretter son excès d'assurance et jusqu'à quel point l'option militaire des Etats-Unis et de son allié israélien est écartée. Dans tous les cas, dès ce matin, tous les regards seront braqués sur Téhéran et les grandes villes iraniennes où la contestation du pouvoir pourrait connaître un saut qualitatif et, peut-être même, se muer en irrésistible lame de fond.