Encore un départ vers l'étranger, en quête de liberté, souvent miroir aux alouettes. En quatrième de couverture, on peut lire (c'est notre traduction de l'amazigh) : “Voici maintenant la ville livrée au regard de Meziane. Devant le parapet qui sépare la ville du port, il sourit quand il réalisa que cette balustrade est un obstacle pour la dernière fois. De ce côté-ci, le pays où il vit ; de l'autre le pays où l'attend la liberté ! Qui sait si jamais il l'atteindra une fois cette barrière franchie ? Que de gens ont traversé la mer pour retrouver la liberté mais, une fois sur place, elle s'est évanouie…” Au pays, aussi, la vie est devenue une existence dans une prison sans toit. Meziane voit que la liberté a ses critères, que chacun dresse à sa façon, mais lui, il a tranché : la séparation, la fuite. Méziane ira donc en France, où l'attend un peu d'amour, pas mal de fraternité et beaucoup de haine. Mohand Aït Ighil a su dépeindre, patiemment, cette atmosphère, le passage d'un sentiment à l'autre. Une flûte, qu'une Française généreuse offre à Méziane, se met en devoir d'être le fil rouge, le lien entre l'Algérie et la France. La police viendra la lui briser : cauchemar à l'état de l'éveil. On lui offrira une autre flûte, toute neuve : le lien se retisse, l'espoir renaît ! La fresque d'histoire contemporaine, la longue épopée de jeunes étudiants (en filigrane, le MCB ?) qui activent et se réunissent clandestinement nous font revivre les années de plomb avec une certaine nostalgie quand même, maintenant que les acteurs réels de cette époque ont pris chacun son chemin. Puis la guerre, flash-back sur la guerre de Libération : l'histoire, des histoires de l'Histoire se chevauchent, se croisent, font une pause et l'Histoire, qui est mémoire mais n'a pas de mémoire, ne peut que se répéter : l'opprimé devient opprimant et use des mêmes armes qu'il a subies contre plus petit, contre un frère. Celui qui demandait avec force la liberté d'expression la confisque maintenant qu'il est au pouvoir, ne serait-ce que d'un parti politique. En dramaturge qu'il est et animateur de troupe théâtrale, metteur en scène, Mohand Aït Ighil nous balise la lecture en usant d' un titre pour chaque chapitre, qui devient ainsi un tableau : Tadart (le village), avec des scènes bucoliques d'une rare précision, Amezgun (le théâtre), Tberna (le bar, tberna vient de taverne), etc. Les dialogues sont très bien intégrés (encore une “séquelle positive” du théâtre), les descriptions minutieuses et vivantes. Nous pouvons alors lire en… 3D. Un roman qu'on rêve de porter à l'écran. Tighersi (la rupture), de Mohand Aït Ighil, Aframed Editions, 150 pages, 195 DA.