Le nom des suffragettes est apparu pour la première fois au Royaume-Uni pour désigner des militantes en faveur du vote des femmes. Les Britanniques ont obtenu le droit de se rendre aux urnes en 1928. Depuis, d'autres combats sont engagés notamment pour promouvoir la place des femmes en politique, lutter contre les disparités salariales et la violence conjugale. Le 8 Mars est une date presque comme les autres pour les femmes britanniques. Pas de demi-journée de travail chômée et payée, pas de distribution de roses, ni de grands cérémonials. Pourtant, c'est ici, dans ce pays, que le mouvement pour l'émancipation du sexe faible est né, il y a plus d'un siècle. Au cœur de Hyde Park, tout près du palais de la reine Elisabeth II à Buckingham et pas très loin du Parlement de Westminster, autrefois antre exclusif des gentlemen, rôde encore le fantôme d'Emmline Pankhurst. Le 7 juin 1908, cette bourgeoise peu conventionnelle offusquait, une fois de plus, les esprits bien-pensants de la haute société britannique, en montant sur une tribune improvisée dans l'immense jardin pour réclamer le droit de vote aux femmes. Son auditoire comptait des dizaines de milliers de militantes du WPSU (Women Political and Social Union), dont l'histoire du féminisme se souviendra sous le nom des suffragettes. Les droits d'auteur reviennent au Daily Mail. En 1906, le journal britannique augurait l'usage de cette appellation pour distinguer Mme Pankhrust et ses camarades d'armes. Rompant avec les méthodes pacifistes de leurs aînées, les suffragettes multiplient les opérations coup-de-poing pour se faire entendre par les hommes qui les gouvernent. Contestant la brutalité de leurs méthodes, beaucoup d'historiens britanniques estiment, néanmoins, que les suffragettes ont transmis leur opiniâtreté à des millions de femmes, qui, depuis, ont combattu âprement pour leurs droits. “Nous pensons aujourd'hui que le vote des femmes est un droit. Mais ça n'a jamais été le cas ainsi”, observe Kristy O'lone, militante féministe. Pour célébrer l'héritage des suffragettes, la Chambre des communes abrite, depuis plusieurs mois, une exposition retraçant leur combat. En 1906, Mme Pankhrust avait tenté d'envahir le Parlement avec des dizaines d'activistes. Certaines sont arrêtées et emprisonnées, mais la répression ne fléchit pas leur détermination. De plus en plus spectaculaires, les actions des suffragettes passionnent les médias. Elles font une incursion au siège du Premier ministère, à Downing Street, chahutent une réunion du parti libéral au pouvoir, incendient des édifices qui symbolisent la suprématie masculine, comme les terrains de golf et les églises, et font des grèves de la faim. En voulant arrêter le cheval du roi George V au cours d'un derby, Emily Davidson, autre figure de proue du WSPU, est mortellement blessée. D'abord réticente, l'opinion publique exprime de la sympathie à l'égard des suffragettes. Leur rôle dans la mobilisation des femmes pendant la Première Guerre mondiale, pour remplacer les hommes dans les fermes et les usines, leur vaut une plus grande estime. En 1918, le pouvoir fait une concession et promulgue une loi (The representation of he people act) qui accorde aux femmes britanniques le droit de vote à partir de 30 ans. Sous la pression du mouvement féminin, de plus en plus fort, il cède complètement une décennie plus tard et fixe l'âge des votantes à 18 ans, au même titre que les hommes. Entre-temps, des femmes commencent à investir le Parlement en tant qu'élues. La Chambre des communes ouvre ses portes à une députée en 1919. En 1958, des femmes font leur entrée à la Chambre des Lords. Aujourd'hui, un peu plus d'une centaine siège au Parlement. Pour les militantes féminines britanniques, toutefois, ce chiffre résume une piètre performance et constitue un affront à la mémoire des suffragettes. “Nous avons moins de députées qu'au Cambodge”, s'indigne Lesley Abdela, présidente du Conseil des femmes en politique. Classé à la 6e place dans le monde, le Royaume-Uni se distingue par une représentation féminine dérisoire dans les institutions législatives, équivalant à 16% des sièges, loin derrière la Suède ou le Rwanda qui ont réussi le pari de la parité dans ce domaine. “Je suis sûre qu'on aurait tout fait pour arriver au top s'il s'agissait d'une compétition de football”, commente Mme Abdela, en faisant allusion à la désinvolture de l'establishment en matière de promotion des femmes en politique. Selon elle, l'arrivée probable des conservateurs au pouvoir, au terme des prochaines législatives, prévues en mai, ne devrait pas améliorer les choses. Au contraire. Dans ce parti pourtant, une femme a réussi à se hisser au rang de Premier ministre et de rester à son poste pendant plus de dix ans. Désignée sous le sobriquet de Dame de fer, Margaret Thatcher a marqué l'histoire de la Grande-Bretagne, sans doute au même titre que Winston Churchill. Réputée pour être rude et inflexible, elle a néanmoins gagné le cœur des Anglais en les servant du mieux qu'elle pouvait. Depuis, plus aucune femme n'a brillé en politique. En arrivant à Downing Street en 1997, le leader travailliste Tony Blair a pris l'initiative de nommer plus de femmes dans son cabinet. Mais le groupe connu sous le nom de Blair's babies n'a pas connu de longévité au gouvernement. En 2009, deux ministres importants, Jackie Smith, responsable du Home Office, et Hazel Blears, ministre des Communautés et des Collectivités locales, quittaient le gouvernement par la petite porte. À l'instar de certains élus, elles étaient impliquées dans un vaste scandale de notes de frais. Une seule, Harriet Harman, a résisté à la bourrasque. Outre ses prérogatives de vice-secrétaire du Parti travailliste, elle est chargée de promouvoir la politique du genre de l'exécutif. En matière d'égalité entre les hommes et les femmes, les retards de la Grande-Bretagne ne s'inscrivent pas seulement au niveau politique. Dans le monde du travail, les travailleuses touchent moins de 17% que leurs collègues masculins. Dans la finance, secteur névralgique de l'économie britannique, les différences salariales sont parfois plus importantes. “Quand les suffragettes ont arraché le droit de vote, il était évident que beaucoup de chemin restait à parcourir avant d'obtenir une complète égalité entre les hommes et les femmes. Aujourd'hui, nous savons que d'autres batailles sont à gagner”, indiquait Angela Eagle, ministre d'Etat, il y a quelques jours, à son retour d'un forum des femmes européennes, à Cadix, en Espagne. Pointant du doigt les discriminations dont ses compatriotes sont victimes, elle révèle, par exemple, que suite au Crédit Crunch (crise financière), les banques ont préféré sacrifier leur personnel féminin. La lutte contre la ségrégation des femmes dans le monde du travail est au cœur du combat des associations féminines au Royaume-Uni. La plus connue, Fawcett, est un collectif de 40 organisations. Empruntant le nom de Milicient Fawcett, aïeul des suffragettes, elle a initié une campagne “Sexism and the City” (le sexisme et la cité), où elle met en lumière les abus et les vexations dont les femmes font l'objet sur leur lieu de travail. L'une des autres campagnes importantes que Fawcett a mise en place concerne la violence à l'égard du sexe faible. Selon des statistiques, un cinquième des femmes britanniques en est victime. Cette proportion est plus importante au sein des minorités ethniques. Doublement pénalisées, à cause de leur sexe et de leur appartenance, les femmes d'origine étrangère endurent la discrimination à la fois à l'intérieur de leurs communautés et dans la société britannique. Invisibles et isolées, elles ont moins de chance de changer leur destin. Quelquefois, elles s'enfoncent. En témoigne leur prépondérance dans le milieu carcéral où elles représentent un tiers de la population.